Le régime de Mickey Mouse
Image: Picocystis salinarum. Autor: D. Patterson. Source: Microbial Life
Traduit par Marc Long
Les biscuits sont des friandises que l’on s’amuse à façonner de plusieurs façons : bonhomme de pain d’épice, cœur, biscuits de Noël, etc. Ou encore en forme de Mickey Mouse, nous rappelant ainsi l’histoire suivante…
Aujourd’hui, le personnage principal de cet article est une microalgue faisant seulement 2-3 microns (même si vous l’observez au microscope avec un grossissement de x100 000, vous ne verrez que des points), faisant ainsi partie du picoplancton.
Elle a été isolée en 1991 dans les marais salés de San Francisco, en Californie (85‰ de salinité, soit près de trois fois plus que l’eau mer) et a été baptisée…Picocystis salinarum (Lewin et col. 2000).

En pleine croissance, ce sont de petites sphères, mais avec une carence en nutriments, elles acquièrent une forme trilobée.
Peu de temps après, la découverte d’un organisme similaire dans le lac Mono (Californie) a été publiée. Il a été appelé Picocystis sp. parce qu’elle ne semblait pas tout à fait la même microalgue. Et les auteurs ont également fait preuve d’un peu d’humour :

« A chloroplast was located in each of the two smaller lobes and the nucleus in the larger third lobe, reminiscent of Mickey Mouse. »
Roesler et col. (2002)
Le lac Mono est un endroit étonnant.
Il fait penser à une œuvre de Dalí et ses conditions environnementales ne sont pas moins remarquables…
Quand je l’ai vu, cela m’a rappelé la mer de Salton, dont nous avons discuté dans l’article intitulé Un futuro para Salton Sea (Article en espagnol).
La mer de Salton est née d’une erreur humaine (suite à la rupture d’un barrage) et est en train de mourir. Alors que le lac Mono, lui, est naturel, quelques étudiants ayant empêché sa disparition alors que son sort semblait inévitable.
Voici ce qui s’est passé. Le lac Mono, en Californie, était un plan d’eau alcalin et salin (légèrement au-dessus de 40‰ de l’océan), vieux de plus de 50 000 ans et situé dans les montagnes de la Sierra Nevada (à près de 2 000 mètres d’altitude).

En 1941, les affluents qui alimentaient le lac ont été détournés pour répondre à la demande croissante en eau de Los Angeles. Et vous pouvez imaginer la suite…
Dans les 40 années qui ont suivi, il a perdu la moitié de son volume mettant en évidence les tufas (des formations calcaires en forme de cheminée) de son lit. La salinité a été multipliée par deux, le pH est monté à 9,8 et pas un seul poisson ou vertébré n’a survécu…
Face à de tels changements, seules des mouches alcalines (Ephydra hians), une espèce de crustacé unique au monde (Artemia monica), et les microalgues constituant leur principal régime alimentaire ont survécu: les Picocystis.
Ces microalgues représentent à elles seules 50% de la production primaire du lac. Et en hiver, elle ne descend généralement pas en dessous de 25%…
Il y a aussi des diatomées (Nitzschia) et des cyanobactéries, mais la reine indétrônable reste Picocystis.
Et les Artémias en raffolent ! En laboratoire, chacune d’entre elles mange en moyenne 500 000 Picocystis par heure !
Les Artémias elles-mêmes sont une ressource fondamentale pour les oiseaux sur la route migratoire du Pacifique de l’Amérique du Nord qui va de l’Alaska à la Patagonie. Un bel exemple de la dépendance entre les écosystèmes et les êtres vivants.

Le lac Mono était monomictique avant les années 80′. C’est-à-dire que la stratification de la couche supérieure formée pendant la saison chaude se dissipait une seule fois par an, mélangeant et oxygénant ainsi ses eaux à la fin de l’année.
Mais en 1982, la détérioration de l’environnement et un événement « El Niño » intense ont initié une phase méromictique: une stratification de surface continue pendant 5 années de suite.
Et lorsque le mélange des eaux profondes et peu profondes a été rétabli, une nouvelle catastrophe s’est produite : l’ammonium, le méthane et le soufre accumulés au fond ont provoqué l’anoxie temporaire du lac.
En 1984, pendant cette stratification persistante, un maximum de chlorophylle de subsurface s’est formé. Et dans des conditions où l’on aurait pu s’attendre à des bactéries photosynthétiques anoxygènes, c’était en fait une microalgue eucaryote qui était responsable de ce maximum de chlorophylle: Picocystis sp. !

Les Picocystis du lac Mono peuvent se développer dans la pénombre (<0,1 % de la lumière de surface disponible en été), et donc proliférer à des profondeurs allant jusqu’à 20 mètres.
Ils supportent une gamme IMPRESSIONNANTE de salinités (0-260‰), et de pH (4-12) et tolèrent également bien les faibles niveaux d’oxygène.
Cette plasticité physiologique lui permet d’établir des populations permanentes dans le lac, maintenant ainsi la production primaire, et supportant l’écosystème et les êtres vivants qui en dépendent : les Artémia et les oiseaux.
Picocystis possède une autre propriété surprenante: c’est une chimère dans sa composition pigmentaire. Chlorophylles et caroténoïdes des algues vertes (chlorophylle b, violaxanthine, etc.) et d’autres pigments de la lignée évolutive rouge (diatoxanthine, alloxanthine et monadoxanthine, les deux dernières étant typiques des cryptophycées) sont présents chez cette microalgue.
Des années plus tard, des collègues de la Station Biologique de Roscoff ont invité José Luis Garrido (IIM-CSIC) et moi-même à participer à un article (dos Santos et col. 2017) qui a établi la classification taxonomique de Picocystis salinarum.
Nous avons contribué à cette étude en analysant la composition pigmentaire de Picocystis salinarum qui coïncidait précisément avec les pigments de Picocystis sp. du lac Mono.
Et en combinant la génétique, la morphologie et les analyses pigmentaires, P. salinarum a finalement été incluse dans une nouvelle classe d’algues vertes : Picocystophyceae. Rappelez-vous: le phytoplancton en forme de Mickey Mouse, ou les « cookies » mangés par les Artémias du lac Mono si vous préférez).

C’est bien beau tout ça mais le lac Mono? Il ne devait pas disparaitre?
Et bien si...
Mais en 1976, un jeune professeur de l’université de Stanford (David Gaines) a mené une étude écologique avec un groupe d’étudiants dénonçant la détérioration et la menace d’effondrement des écosystèmes. Et en 1978, ils ont créé le Mono Lake Committee (Comité du lac Mono) qui est toujours actif avec 16 000 membres.
Armés de la connaissance scientifique (et de la conscience environnementale), ils se sont lancés dans la lutte pour la protection de ce lac et ont obtenu en 1994 l’approbation de la State Water Board Decision 1631 (appuyée par un rapport d’impact environnemental de 1700 pages !!!).

Cette réglementation de l’État a mis fin à son déclin en établissant un niveau d’eau minimum, un débit permanent pour les ruisseaux qui l’alimentent et la restauration de l’habitat des oiseaux aquatiques.
Ils pensaient atteindre le niveau minimum espéré en 20 ans… mais ce n’est pas si facile. En avril 2021, le niveau d’eau du lac est toujours inférieur au niveau décrété en 1994.
Son volume fluctue chaque année en raison des conditions climatiques, des sécheresses et d’un apport variable des eaux de fonte de la Sierra Nevada.
La tendance générale est à la hausse et l’avenir du lac semble assuré grâce à la mèche allumée par l’engagement environnemental de ce professeur et de ses étudiants.
Références:
- dos Santos, A.L. et col. Chloropicophyceae, a new class of picophytoplanktonic prasinophytes. Sci. Rep. 7:14019. (2017).
- Lewin, R.A. et col. Picocystis salinarum gen. et sp. nov. (Chlorophyta)—a new picoplanktonic green alga. Phycologia 39:560–565. (2000).
- Roesler, C.S. et col. Distribution, production, and ecophysiology of Picocystis strain ML in Mono Lake, California. Limnol. Oceanogr. 47: 440–452. (2002).
- Stamps, B.W. et col. Metabolic Capability and Phylogenetic Diversity of Mono Lake during a Bloom of the Eukaryotic Phototroph Picocystis sp. Strain ML. Appl. Environ. Microbiol. 84:e01171-18. (2018).
- Sources web: monolake.org