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Natation synchronisée

Image de couverture: L’équipe de natation synchronisée [Auteurr: R. Rickman. Source: urbanfragment]

Gira el haz de luz para que se vea desde alta mar.

Yo buscaba el rumbo de regreso sin quererlo encontrar.

12 segundos de oscuridad (Jorge Drexler, 2006).

Texte traduit par Marc Long

La lumière est une source d’énergie mais également une source d’information grâce au sens de la vue. En tant qu’humains nous en avons aussi besoin pour des fonctions vitales telles que la synthèse de la vitamine D.

Chez la plupart des animaux, qu’ils aient des yeux semblables aux nôtres ou d’autres types de photorécepteurs, la lumière joue un rôle essentiel dans la vie. La croissance et le développement des plantes en dépendent, elles ont donc aussi des sortes « d’yeux » sous la forme de protéines photoréceptrices pour le rouge/rouge lointain (phytochromes), le bleu/ultraviolet-A (cryptochromes, phototropines, etc.) et l’ultraviolet-B.

Grâce aux signaux lumineux captés par ces protéines, la plante germe, s’adapte à l’environnement, croît et se reproduit. Et en mer… qu’arrive-t-il aux microalgues ? Eh bien, vous pouvez imaginer qu’en plus de la photosynthèse – tout comme leurs sœurs terrestres – elles utilisent la lumière pour d’autres choses telles que le réglage des cycles quotidiens (circadiens), des cycles saisonniers et la détection d’un excès de lumière visible et ultraviolette afin de prévenir les dommages.

Les oculaires et les ocelloïdes dans le phytoplancton. A) Chlamydomonas. B) Euglena. C) Kryptoperidinium. D) Warnowia. E) Nematodinium. F) Erythropsidinium. Source: Colley & Nilsson (2016).

Certaines microalgues ont des oculaires avec des protéines photoréceptrices et des caroténoïdes, comme EuglenaEn fait, on sait qu’au moins 9 types d’algues possèdent de tels organites. Par exemple les dinoflagellés du genre Erythropsidinium, dont nous avons parlé dans «La insólita criatura del señor Hertwig», possèdent des ocelloïdes. Erythropsidinium appartient à une famille (Warnowiaceae) caractérisée par ces « yeux microscopiques » élaborés.

Les fonctions de base de ces structures dans le phytoplancton sont la détection de la lumière ambiante et la phototaxie (mouvement guidé par la lumière). Outre les ocelles et les points oculaires, les chloroplastes peuvent également remplir des fonctions similaires, comme chez Chlamydomonas.

Les photorécepteurs sont proches des flagelles pour faciliter la transmission d’informations sous forme de signaux électriques ou chimiques qui induisent le mouvement. Les microalgues n’ayant pas de cerveautout est action-réaction !

Les espèces sans ocelles peuvent également détecter les changements de lumière grâce à des pigments photosensibles, bien que leur emplacement dans la cellule ne soit pas encore bien connu. On peut citer le dinoflagellé Prorocentrum donghaiense, les diatomées comme Pseudo-nitzschia granii et l’haptophycète Phaeocystis globosa. Gardez le nom de Pseudo-nitzschia en tête car nous allons en parler plus en détails…

Pseudo-nitzschia spp. Auteur: S. Busch. Source: Wasmund et col. (2018).

Jusqu’à présent, nous avons parlé de lumière ambiante, de phototaxie et des flagelles. Mais dans le cas de groupes tels que les diatomées (sans flagelles chez les cellules végétatives), leur mobilité est réduite par rapport aux organismes flagellés. Même si elles peuvent se déplacer en glissant sur des surfaces, en modifiant la longueur de leurs chaînes (chevauchant plus ou moins les individus qui les composent) et en régulant leur flottabilité en fonction de la lumière et des nutriments.

Mais des travaux récents ont révélé que certaines diatomées possèdent une capacité surprenante : elles communiquent en utilisant la lumière leur permettant ainsi de coordonner leurs mouvements – un comportement social !

Font-Muñoz et al. (2021) ont étudié le mouvement des chloroplastes et des cellules de Pseudo-nitzschia delicatissima dans des conditions de lumière et d’obscurité. Ils ont constaté que les diatomées oscillaient différemment lors de la sédimentation. Et surtout qu’elles oscillaient de manière synchronisée.

La synchronisation est due à la lumière rouge émise par l’autofluorescence de la chlorophylle. Il s’agit de la fluorescence naturelle émise par les microalgues vivantes.

Les diatomées oscillent de manière rythmique et ce comportement produit des signaux intermittents. En d’autres termes, chaque cellule agit comme un phare qui envoie un code lumineux aux autres. Un phare chlorophyllien rouge dans ce cas.

Les flashs individuels étaient rapidement synchronisés (sur des échelles d’une minute), et ont permis d’identifier un signal caractéristique dans la population. Ces impulsions lumineuses dépendent de la fréquence d’oscillation, qui change en fonction de l’orientation dans laquelle la cellule sédimente.

Et cette orientation des cellules est plus ou moins horizontale ou verticale selon le centre de masse, qui se déplace en fonction de la position des chloroplastes. Chaque Pseudo-nitzschia en a deux et ils sont plus ou moins joints selon la lumière, comme ceci:

Déplacement des chloroplastes de Pseudo-nitzschia delicatissima dans A) l’obscurité et B) la lumière, responsable du changement de l’orientation verticale des cellules et du signal fluorescent qui en résulte. Source: Font-Muñoz et col. (2021).

Le signal de fluorescence est modulé par le revêtement de silice des cellules et puis par la fréquence d’oscillation des individus. Cependant, dès qu’il y a un peu d’agitation dans l’eau, les diatomées ne peuvent pas réaliser leur nage synchronisée.

Même si la couleur bleue pénètre davantage dans l’eau, la lumière rouge est mieux transmise par les diatomées, qui peuvent détecter ces signaux. Elles possèdent des photorécepteurs rouges (phytochromes), contrairement aux autres groupes de phytoplancton.

Pour démontrer que la lumière déclenche la synchronisation, Font-Muñoz et al. ont exposé un groupe de cellules à des impulsions de lumière rouge imitant le signal émis par d’autres individus. Et – ta-da ! Après une brève transition, les diatomées ont commencé à osciller au rythme du signal lumineux.

Mais pourquoi ces diatomées nagent-elles de façon synchronisée ?

Chez les diatomées exposées à différentes qualités de lumière, il a été observé que la lumière rouge peut modifier leur taux de sédimentation et stimuler la reproduction sexuelle, comme dans le cas de la diatomée bleue pennée Haslea ostrearia.

Fluorescence rouge de la chlorophylle dans des cellules vivantes de Pseudo-nitzschia australis (grossissement 630x). Auteur: F. Rodríguez

La communication lumineuse entre les individus pourrait servir une fonction adaptative, comme l’augmentation de l’irradiation que les cellules reçoivent et l’absorption de nutriments. L’oscillation des cellules fait que leur sédimentation est irrégulière, mais leur permet de se retrouver plus facilement, facilitant ainsi la reproduction sexuelle.

Ainsi, la nage synchronisée de Pseudo-nitzschia delicatissima pourrait être une stratégie efficace – tant pour cette espèce que pour d’autres diatomées pennées – pour propager un comportement bénéfique à l’ensemble de la population afin de mieux utiliser les conditions environnementales à un moment donné.

Références:

  • Colley N.J. et Nilsson D.-E. Photoreception in Phytoplankton. Integrative and Comparative Biology, 56 (5): 764–775. (2016).
  • Font-Muñoz J.S. et col. Pelagic diatoms communicate through synchronized beacon natural fluorescence signaling. Sci. Adv. 7, eabj5230. (2021).
  • Mawphlang O.I.L. et Kharshiing E.V. Photoreceptor mediated plant growth responses: implications for photoreceptor engineering toward improved performance in crops. Front. Plant Sci. 8:1181. (2017).
  • Mouget R. et col. Light is a key factor in triggering sexual reproduction in the pennate diatom Haslea ostrearia. FEMS Microbiol. Ecol. 69:194–201. (2009).
  • Wasmund N. y col. Biological assessment of the Baltic Sea 2017. Marine Science Reports No 108. (2018).

Armées et dangereuses

No cualquiera se me acerca, yo lo sé
Dicen que hay que tener agallas pa’ comerme
Que hay tener el cuerpo para aguantarme

Mafiosa (Nathy Peluso, 2021)

Texte traduit par Marc Long

La pollution atmosphérique, qu’elle soit due à l’activité humaine ou d’origine naturelle, représente un danger pour la santé. En général on pense d’abord aux émissions des voitures ou de l’industrie, mais les cendres et les gaz libérés dans l’atmosphère lors d’une éruption volcanique, ou les particules provenant du désert peuvent également être nocifs.

Lors de la récente éruption du Cumbre Vieja, le président de l’ordre des médecins de l’île de Las Palmas a souligné le risque d’inhalation de cendres volcaniques:

« …Ce sont des minéraux […] comme des pierres microscopiques avec des arrêtes, des aiguilles. Ces particules fines sont beaucoup plus agressives [que les cendres d’un feu de forêt]. Elles peuvent être inhalées dans les poumons et générer une condition respiratoire qui peut être grave tant chez les patients atteints de pathologies chroniques que chez les personnes en bonne santé en cas d’exposition prolongée.”

Pedro Cabrera [El Diario (22-IX-2021)]
Images (SEM) des particules de cendres éjectées le premier jour de l’éruption du Cumbre Vieja. Source: IGME-CSIC.

Une situation similaire peut également se produire en mer. Mais dans ce cas, les désagréments sont subis par les poissons et les “épines » sont d’origine biologique: les diatomées.

Les proliférations de microalgues peuvent être nocives, même si celles-ci ne produisent pas de toxines. A priori personne ne penserait qu’une cellule dans la mer puisse représenter une menace ou un risque physique pour un poisson, un oiseau ou un mammifère. Mais tout est une question de dose, et dans le cas des espèces toxiques, nous savons que leurs toxines peuvent s’accumuler dans la chaîne alimentaire. Au-delà d’un certain seuil, ils peuvent empoisonner les organismes des niveaux supérieurs de l’écosystème.

Les efflorescences de phytoplancton peuvent également être nuisibles en consommant de l’oxygène lors de la décomposition de la matière organique lors du déclin de leurs populations. Mais il existe un autre scénario que nous n’avons pas encore abordé dans ce blog: les efflorescences abrasives

Certaines microalgues peuvent être nuisibles car elles agissent comme du « papier de verre microscopique ». En particulier, plusieurs espèces de diatomées peuvent endommager des tissus tels que les branchies des poissons et des invertébrés.

Chaetoceros coarctatus. Source: Roberts et col. (2019).

Un exemple de diatomée abrasive est Chaetoceros coarctatus. Ce genre de diatomées est très commun et abondant sur l’ensemble des côtes de la planète. C’est l’un des genres les plus diversifié, avec plus de 400 espèces. Les Chaetoceros possèdent des épines creuses (setae) qui leur permettent d’augmenter leur surface et leur flottabilité. Elles forment souvent des chaînes qui, ensemble, ressemblent à des mille-pattes microscopiques.

Le problème avec des espèces telles que Chaetoceros coarctatus est qu’elles possèdent des setae « armées », avec des extensions siliceuses qui rendent leurs proliférations abrasives et posent un risque pour la faune marine.

Les épines (ou setae) peuvent avoir des chloroplastes qui permettent de les différencier en deux sous-genres : Hyalochaete (« hyalo » signifie cristallin ; épines fines sans chloroplastes) et Phaeoceros (épines épaisses avec chloroplastes ; « phaeo » signifie brun foncé, pigmenté).

Chaetoceros coarctatus fait partie des Phaeoceros. Ses épines, en plus d’être armées ou de servir de “flotteur”, comprennent des chloroplastes qui servent de panneaux solaires captant la lumière pour la photosynthèse.

Les microscopes optiques ne permettent pas de distinguer la surface des épines en détail, pour cela il faut un microscope électronique. Et c’est cet outil qui a permis de décrire leur structure et leur fonction dans un article récent.

La plupart des épines de C. coarctatus ne sont pas rondes mais hexagonales, avec de nombreux nano-pores. Leur surface est lisse à la base, juste là où ils émergent de la cellule. Mais à mesure qu’ils se rapprochent de l’extrémité, des extensions en forme de dagues apparaissent, rappelant la tige épineuse de nombreuses plantes.

Détails structurels des épines intercalaires (setae), les plus abondantes chez Chaetoceros coarctatus. Source:Owari et col. (2022).

À l’intérieur des épines, les nano-pores sont répartis selon un maillage ordonné et permettent à la lumière de pénétrer dans les épines. Cette distribution devient désordonnée vers la pointe et à l’extérieur des épines car il y a des pores qui se ferment. La porosité augmente la résistance en protégeant mécaniquement les cellules. Mais ce n’est pas tout…

La forme et la répartition des nano-pores favorisent particulièrement la pénétration de la lumière bleue (entre 400 et 500 nm) dans les longueurs d’onde optimales pour l’absorption des pigments photosynthétiques (chlorophylles et caroténoïdes) des chloroplastes qui sont serrés à l’intérieur des épines.

La forme et la force des cellules font que lorsqu’une chaîne de C. coarctatus entre dans un canal étroit avec un fluide (comme si elle entrait dans une branchie), elle s’aligne parallèlement au mouvement du fluide, s’orientant vers l’intérieur.

Mais dans le cas d’une concentration excessive de cellules, ses longues épines armées finissent tôt ou tard par s’accrocher aux tissus et les endommager.

Cette diatomée est comme un accident de parcours ! Voici quelques photos.

Chaetoceros coarctatus. Source: Lee et Lee (2011).

Au cours de l’été et de l’automne 2013, une vague de chaleur s’est abattue sur le sud de l’Australie. Parallèlement à cet épisode, les médias ont fait état de milliers de mortalités de poissons sur 2 900 kilomètres de côtes. On estime qu’entre 100 et 2000 individus par km se sont échoués. Faites le calcul…

Le baliste (Thamnaconus degeni) a été le plus touché par les mortalités en 2013. On les voit ici échoués sur le rivage à Port Noarlunga (A) et nageant en avril 2013 au large d’Adélaïde (B). Source: Roberts et col. (2019).

Il y a également eu des décès de dauphins associés à un virus, ou encore des mortalités excessives d’ormeaux, mais celles-ci étaient liées aux températures élevées en mer (27-30°C).

Pour les poissons c’était différent…

La plupart des poissons qui sont arrivés au laboratoire étaient en mauvais état et n’ont pas pu être examinés correctement..

Mais l’analyse de 8 poissons moribonds ou récemment morts a montré de graves lésions dans leurs branchies, avec une septicémie et une hyperplasie dans les tissus.

Dans les échantillons d’eau, ils n’ont trouvé pratiquement aucune espèce de phytoplancton toxique ou nuisible, à l’exception de…Chaetoceros coarctatus.

Pendant l’un des pics de mortalité, des abondances entre 200-2000 cellules/litre de C. coarctatus ont été enregistrées. Cela ne semble pas élevé, mais cette diatomée abrasive peut provoquer des effets sublétaux avec seulement 400 cellules/litre.

Les dommages causés aux branchies et le stress qu’ils provoquent peuvent entraîner des infections bactériennes et des symptômes tels que ceux observés chez ces poissons.

En résumé, Roberts y col. ont conclu que le stress de la vague de chaleur, couplé à la prolifération de Chaetoceros coarctatus, a conduit aux lésions et infections des branchies et aux mortalités massives.

C’est un petit nombre d’individus qui a été analysé pour ce qui s’est passé là-bas, mais il n’est pas toujours possible d’obtenir des échantillons importants quand on en a le plus besoin.

Comme toujours en science, d’autres épisodes permettront à l’avenir de confirmer, de discuter ou d’étendre les conclusions, même si Chaetoceros coarctatus sera toujours suspecté, c’est certain !

Références:

  • Lee S.D. y Lee J.H. Morphology and taxonomy of the planktonic diatom Chaetoceros species (Bacillariophyceae) with special intercalary setae in Korean coastal waters. Algae 26(2):153-165 (2011).
  • Owari Y. y col. Ultrastructure of setae of a planktonic diatom, Chaetoceros coarctatus. Sci. Rep. 12: 7568 (2022).
  • Roberts S.D. y col. Marine Heatwave, Harmful Algae Blooms and an Extensive Fish Kill Event During 2013 in South Australia. Front. Mar. Sci. 6:610 (2019).

Les diatomées surfeuses

Image de couverture: Plage América (Pontevedra). Auteur: F. Rodríguez

Texte traduit par Marc Long

Bonjour à tous ! Tout d’abord, je voudrais annoncer que ce sera le dernier article pour un petit moment. Je n’arrête pas le blog, mais je vais faire une pause. En attendant, j’écrirai de nouveaux articles seulement lors d’occasions spéciales.

Le logo de Fitopasión (Autrice: Blanca Álvarez, IEO Vigo).

Cela fait dix ans que j’écris des articles toutes les 2 ou 3 semaines (249 articles au total). Beaucoup d’histoires et beaucoup d’autres encore à raconter. Mais le temps est venu de faire une pause…

L’expérience a été très positive. Après une si longue période, tout ce qui entoure le blog fait désormais partie de la « famille ».

J’espère que pour vous aussi. J’espère que les articles ont piqué votre curiosité et vous ont laissé des souvenirs. Et si ce n’est pas le cas, vous pourrez toujours revenir pour redécouvrir le blog car il se poursuivra ici.

Les visites se sont multipliées chaque année grâce aux critiques parues dans divers médias. Les pays qui accueillent le plus de visiteurs sont – dans cet ordre – l’Espagne, l’Équateur, le Mexique, l’Argentine et le Chili (85 % entre 2016 et 2021). Et entre 2020 et 2021, le blog a reçu plus de 410 000 visites.

Merci beaucoup à tous ceux qui l’ont suivi au fil des ans.
J’ai beaucoup appris en l’écrivant et vos commentaires m’ont encouragé à consacrer du temps à tous les articles.

Je continuerai à faire de la divulgation sur mon compte twitter (@Lilestak) autant que je le peux et autant que j’en ai envie. J’y publierai des mini-films, des textes, des images et des vidéos sur le phytoplancton avec le hashtag #Fitopasión. Je vous encourage à me suivre.

Après cet adieu temporaire, passons à l’article d’aujourd’hui.

Je vais vous parler de vulgarisation et de sciences citoyennes (ou sciences participatives) avec l’exemple d’Attheya armata: une diatomée surfeuse et une vieille connaissance de ce blog.

Les références bibliographiques sont l’une des caractéristiques de Fitopasión. L’exigence minimale de tout texte de vulgarisation scientifique fiable est d’inclure les sources originales afin de I) rendre justice aux auteurs, II) permettre à quiconque de contraster ce que vous dites et III) démontrer que vous n’inventez pas ce que vous écrivez.

Il est de plus en plus courant qu’un article scientifique cite des sources Internet. Et dans le cas de Fitopasión, je suis fier d’avoir une citation dans l’article de Odebrecht et col. (2014) & Carballeira et col. (2018), plus précisément d’un article que j’ai publiée en 2011: Attheya: el alga que toma el sol en la playa.

Extrait des references de de Odebrecht et col. (2014).

Cet automne-là, l’article de Fitopasión a été le premier relevé de diatomées dans la zone de déferlement des vagues dans la Peninsule Ibérique (et le 2ème enregistrement pour l’Espagne après les îles Canaries : Ojeda et O’Shanahan, 2005).

C’est surprenant non ? Je n’étais même pas au courant ! Cela donne une idée des recherches en cours et des surprises que la mer nous réserve. Il montre également l’importance de la science participative…

Toute personne curieuse et ayant un téléphone portable à portée de main peut soumettre ses observations à des applications et des sites web qui encouragent la participation de la société à des projets de recherche. Votre observation peut être nouvelle et peut faire avancer la communauté scientifique, n’hésitez pas.

Citons par exemple les projets sur la biodiversité marine tels que DIVERSIMAR (CN-IEO, CSIC) sur les déchets marins (CLEANATLANTIC ou Marine LitterWatch de l’Agence européenne pour l’environnement), ou encore sur les développements d’eaux colorées PHENOMER (Ifremer) en Bretagne.

L’action de science participative qui nous concerne le plus dans ce blog est celle de PHENOMER. Son responsable, Raffaele Siano (chercheur à l’Ifremer), a publié en 2020 un article résumant l’activité entre 2013-15.

Au cours de ces 3 années de suivis, ils ont relevé 74 phénomènes d’eaux colorées en Bretagne (dont 45 d’entre eux n’avaient pas été détectés par le réseau de surveillance du phytoplancton nuisible).

Les signalements ont permis d’étudier l’étendue géographique et la durée des efflorescences (blooms) de Noctiluca scintillans et Lepidodinium chlorophorum.

Un événement de mortalité des bivalves a également coïncidé avec les signalements d’une marée brune dominée par des raphidophytes (Heterosigma akashiwo et Pseudochattonella verruculosa), qui constituent un nouveau risque dans la région.

La science participative peut apporter énormément à la recherche si nous fournissons les moyens nécessaires à partir des centres de recherche.

En Galice, il n’y a pas de projet sur les développements d’eaux colorées comme PHENOMER.

Cependant, une initiative similaire serait très intéressante car il s’agit d’épisodes courants ayant un impact socio-économique et environnemental, tant positif (en raison de la biomasse pour les niveaux trophiques supérieurs ou de la bioluminescence produite par certains) que négatif (en raison des éventuelles toxines, des effets nocifs et des risques pour la santé publique).

A, B, C) Efflorescences de Noctiluca scintillans. D, E, F) Lepidodinium chlorophorum. Auteur: Siano et col. (2020). Source: ScienceDirect.

Dans l’article d’aujourd’hui, j’aborderai un type de prolifération différent des marées rouges, car il ne colore que le sable et l’écume des vagues : les diatomées surfeuses.

Dans Fitopasión nous avons parlé de proliférations et de marées de toutes les couleurs. On les trouve généralement entre le printemps et l’automne dans la colonne d’eau (ou s’il s’agit d’espèces benthiques sur les macroalgues et les sédiments). Mais le cas des diatomées surfeuses est différent..

Leurs efflorescences ne semblent pas suivre un schéma saisonnier classique, elles s’observent tout au long de l’année. Elles ont besoin de la houle pour produire suffisamment de mousse afin de s’agréger et se déplacer avec les vagues, colorant ainsi le sable et les vagues en brun. L’automne et l’hiver sont des périodes favorables à leur croissance.

Nous allons nous concentrer sur une espèce surfeuse : Attheya armata.

Le travail de Odebrecht et col. (2014) s’intitule «Surf zone diatoms: A review of the drivers, patterns and role in sandy beaches food chains». Ils y décrivent la distribution géographique de ces diatomées, en Europe on les retrouve en France (baie d’Audierne, Bretagne) et en Espagne (Galice (Fitopasión) et Canaries (Ojeda et O’Shanahan, 2005)).

Carballeira et col. (2018), en plus de faire un article de review sur Attheya armata, ont également réalisé un échantillonnage en Galice avec un titre original: Attheya armata along the European Atlantic coast – The turn of the screw on the causes of “surf diatom”.

La plupart des relevés de diatomées surfeuses (comprenant des genres tels que Anaulus, Asterionellopsis, Aulacodiscus, Odontella, etc.) sont situés dans l’hémisphère sud (Amérique, Afrique et Océanie). Carballeira et col. incluent quand même une liste exhaustive de la distribution européenne d’Attheya armata soulignant qu’il s’agit d’une espèce autochtone déjà décrite en Angleterre en 1860 et avec une large distribution (Royaume-Uni, France, Pays-Bas, Belgique et Espagne).

Parce qu’elles habitent une bande étroite (la zone de déferlement des vagues), les cellules d’Attheya n’apparaissent généralement pas dans la surveillance du phytoplancton côtier analysant des échantillons de la colonne d’eau. Par conséquent, les enregistrements d’A. armata sont souvent isolés, discontinus et de nouvelles observations apparaissent de temps à autre dans des zones pourtant déjà étudiées pour le plancton marin.

Cependant, dans la baie bretonne d’Audierne, nous savons que ces cellules sont présentes de manière semi-continue tout au long de l’année et dans ce cas, des documents historiques indiquent une expansion récente dans le sud de la France.

Le terme « diatomées surfeuses » n’a pas pour seul but d’attirer votre attention, en anglais elles sont connues sous le nom de «surf zone diatoms«. Dans le dictionnaire Oxford, le mot «surf» signifie «houle, vague, écume». Donc techniquement, ce sont les diatomées des vagues, de l’écume. Et de là à dire qu’elles surfent, il n’y a qu’un pas…

Elles combinent en fait leur mode de vie épipsamique (qui se développe attaché aux grains de sable ou sur la plage) avec des “sessions de surf”. Les diatomées épipsamiques comme Attheya armata ou Anaulus remontent à la surface du sable en début de journée et disparaissent avant la tombée de la nuit. Le mucus qu’elles produisent, et leur forme, leur permettent d’adhérer aux particules de sable et aux bulles, flottant ainsi dans l’eau avec l’écume des vagues.

Leurs proliférations ne sont pas dues à une pollution d’origine humaine. L’influence anthropique (excès de nutriments) n’est pas forcément nécessaire pour stimuler leur croissance. Les plages où elles se développent sont généralement exposées aux vagues, avec une pente douce et une grande zone de déferlement pour que l’écume se forme. Parfois, ces plages reçoivent également des apports d’eaux douces.

Le 29 décembre dernier, en me promenant sur la plage de Panxón (côté est de la plage América), j’ai observé des tâches d’Attheya armata à la surface du sable. Voici quelques photos…

Tâche d’Attheya armata à Panxón (plage América, Pontevedra), 29-XII-2021. Auteur: F. Rodríguez
Attheya armata à Panxón (plage América, Pontevedra), 29-XII-2021. Auteur: F. Rodríguez
Attheya armata à Panxón (plage América, Pontevedra), 29-XII-2021. Auteur: F. Rodríguez

Elles apparaissent chaque année mais comme il n’existe pas de suivis locaux réguliers, il est impossible de connaître leur abondance, leur saisonnalité et leur variation interannuelle. Vous pouvez les voir ici au microscope à différents grossissements. Je les ai photographiés et enregistrés quelques jours plus tard dans notre laboratoire de l’IEO à Vigo.

Agrégats de Attheya armata isolés à Panxón, à un grossissement de 100x. Auteur: F. Rodríguez

Comme vous pouvez le voir, ces cellules ont des prolongements qui ressemblent à des épines. Ils sont appelées « setae » et sont des projections des valves qui les relient pour réaliser des chaînes, maintenir leur flottabilité et former des agrégats qui, à première vue, ressemblent à des grumeaux. Ils sont typiques de genres de diatomées tels que Chaetoceros.

Attheya armata isolés à Panxón, à un grossissement de 400x. Auteur: F. Rodríguez

En Galice, les informations les plus complètes sur Attheya se trouvent dans l’article de Carballeira et col. (2018). Dans ce travail, ils révèlent que sa présence est éphémère (quelques jours) sur les plages de l’estuaire d’Ares-Betanzos, surtout en automne et en hiver. Ils ont également étudié sa signature isotopique pour étudier l’origine marine ou contientale des nutriments qu’elles utilisent pour se développer.

Et il semble qu’Attheya utilise des nutriments d’origine marine mais différents des nutriments utilisés par le plancton se développant dans la colonne d’eau.

Les valeurs moyennes des isotopes δ13C et δ15N de A. armata étaient similaires à d’autres valeurs de référence pour les macroalgues et microalgues benthiques, loin du plancton marin. La conclusion est que les populations d’Attheya exploitent principalement les nutriments à l’interface sédiment-eau d’origine marine, et non les sources anthropiques ou les eaux intérieures infiltrées dans le sous-sol.

Contrairement à la Galice, où elles passent inaperçues, l’apparition et l’ampleur des proliférations d’Attheya dans les îles Canaries a déjà inquiété les baigneurs des plages de Gran Canaria. En raison de leur couleur, et des grumeaux bruns qu’elles forment, elles ont été associées (à tort) à la pollution, aux rejets fécaux, etc.

Voici une vidéo enregistrée à un grossissement de 250x pour vous montrer à quoi elles ressemblent.

La conclusión est que l’on a affaire à un phénomène naturel, malgré son apparence quelque peu suspecte. Et dans le cas d’Attheya armata, il ne s’agit même pas d’une espèce invasive mais d’une diatomée indigène des côtes atlantiques européennes.

Je vous laisse avec une vidéo sur la plage, et une chanson sur la découverte d’un Nuevo Mundo, je vous souhaite le meilleur pour l’année à venir !

Références:

  • Carballeira R. et col. Attheya armata along the European Atlantic coast – The turn of the screw on the causes of “surf diatom”. Est Coast Shelf Sci 204:114-129 (2018).
  • Odebrecht C. et col. Surf zone diatoms: A review of the drivers, patterns and role in sandy beaches food chains. Est Coast Shelf Sci 150:24-35 (2014).
  • Ojeda A. et O’Shanahan L. Discoloraciones por acumulaciones de la diatomea bentónica epipsámica Attheya armatus (Centrales, Bacillariophyta) en playas de arena del S y SW de Gran Canaria (Canarias, España). Vieraea, 33:51-58.
  • Siano R. et col. Citizen participation in monitoring phytoplankton seawater discolorations. Mar Pol 117:103039 (2020).

La petite cité corsaire

Image de couverture: quai de l’île de Batz, á Roscoff. Auteur: F. Rodríguez

Allez viens, j’t’emmène au vent / Je t’emmène au dessus des gens
Et je voudrais que tu te rappelles / Notre amour est éternel
Et pas artificiel

J’t’emmène au vent (Louise Attaque, 1997)

Texte traduit par Marc Long

L’article d’aujourd’hui est très personnel. J’espère qu’il vous plaira.

Nous allons nous rendre à Roscoff, en Bretagne, et je commencerai par un souvenir: un repas à la cantine de l’Hôtel de France en décembre 2004. La voiture pleine de valises et de cartons, et avec un sentiment partagé entre l’excitation et la tristesse. Le lendemain, c’était le retour en Espagne après 2 ans passés au sein du groupe Plancton océanique à la Station Biologique de Roscoff.

Station Biologique de Roscoff. Auteur: F. Rodríguez

Avec du recul, deux ans c’est court, mais c’est plus que suffisant pour briser les clichés sur les pays et les personnes. Des cartes postales jaunies et statiques: une réponse automatique et conventionnelle à tout.

Nous vivons immergés dans une bulle culturelle qui nous fait nous sentir chez nous, à l’aise et en sécurité. Nous nous convainquons même (parfois) que nous vivons dans le meilleur endroit-région-pays du monde.

Mais partir à l’étranger change « les règles du jeu » et enrichit cette bulle (et vous en tant que personne) pour autant que vous soyez perméable et curieux. C’était l’une des leçons les plus importante pour moi.

Avec le temps, les souvenirs s’idéalisent. J’étais très jeune aussi et ça a du jouer mais je ne m’en suis pas rendu compte ! Malgré tout presque tout était positif et je pense qu’il ne s’agit pas d’idéaliser mais d’être reconnaissant.

Je ne citerai pas de noms mais je compte parmi eux de nombreux Français, quelques Portugais, un Indien, un Australien et d’autres nationalités avec lesquelles j’ai partagé le travail, les loisirs, les rires et les dîners à une époque qui est révolue depuis longtemps mais que je chéris.

La musique accompagne toujours les souvenirs et cette chanson lumineuse de Louise Attaque me ramène à cette époque dès le premier accord.

La petite cité corsaire. Roscoff se trouve à l’entrée de la baie de Morlaix, ultra-célèbre pour ses parcs à huîtres, sur la côte sud de la Manche. D’où l’omniprésence des bateaux de croisière de la Brittany Ferries, les magasins d’alcools et de produits locaux destinés principalement aux touristes anglais. Vous verrez même des panneaux sur la route vous rappelant de conduire à droite.

Clocher de l’église Notre Dame de Croaz Batz, Roscoff. Auteur: F. Rodríguez

Les marées gouvernent l’activité des ports comme Roscoff. Sa situation et sa géographie côtière en ont fait une plaque tournante de l’activité corsaire après la Révolution française.

D’une part, l’accès au port de Roscoff est impossible pour les navires de guerre de la marine britannique, d’autre part, le chenal de l’île de Batz (juste en face) offre un abri aux corsaires pour décharger le butin de leurs prises.

Vous connaissez une église dont le clocher est orné de canons sculptés ? Eh bien, l’église de Roscoff en possède deux à la vue de tous – un avertissement pour les marins !

Il est facile de se promener dans le centre historique et d’imaginer que l’on se trouve au XVIIIe siècle.

Les anciennes maisons gothiques des armateurs sont aujourd’hui de délicieuses pâtisseries ou crêperies. Et les corsaires donnent leur nom à certains restaurants (Surcouff). Ses rues et son architecture conservent un charme unique qui rappelle le passé. De la Bretagne pur beurre.

C’est peut-être la raison pour laquelle (comme le dit mon collègue Christophe Six) tant de gens tombent amoureux de Roscoff…

Centre historique de Roscoff. L’image de gauche représente un vendeur d’oignons bretons (connu sous le nom de « Johnnies« ), qui traversait la Manche pour commercer en Angleterre. La caravelle est sculptée sur le mur de la sacristie de l’église Notre Dame de Croaz Batz et est également le symbole de la revue « Cahiers de Biologie Marine » publiée par la SBR. Auteur: F. Rodríguez

Nous sommes dans le 29 (département du Finistère) et ici le marnage (différence de hauteur d’eau entre la basse et la haute mer) atteint facilement 10 mètres, proche du record européen du Mont Saint Michel avec 13 m. Pour vous donner une idée : les marées de mortes-eaux en Galice sont proches de 4 m. Et les marées mortes à Roscoff ne descendent pas en dessous de 2,5 m.

En face de la Station Biologique (fondée en 1872 par Henri de Lacaze-Duthiers), un paysage de rochers, d’algues et d’oiseaux de mer nous rappelle que cette côte est très particulière.

Marée basse et marée haute vues depuis la Station Biologique de Roscoff (4 et 5 nov 2021). A gauche, le canal de l’île de Batz. A droite, le mur du vivier de la Station Biologique. Auteur: F. Rodríguez
Digue sous-marine à l’entrée du port de Ploumanac’h. Auteur: F. Rodríguez

L’une des images les plus frappantes à votre arrivée est de voir l’entrée du port pleine d’eau et à sec le même jour.

Pour éviter au port de se retrouver à sec, des villes comme Morlaix et Ploumanac’h ont des écluses ou des murs sous-marins pour retenir l’eau.

La vitesse de la marée fait qu’en été, plus d’une personne lézardant au soleil sur les rochers, s’est réveillée entourée d’eau de tous côtés, et a du attendre que la gendarmerie nationale vienne la secourir. Comme on nous l’a dit lors d’une visite de la baie de Sainte-Anne (Ploumanac’h).

Pas d’écluse à Roscoff. Là-bas, la mer va et vient tous les jours…

En fait, on m’a dit que l’expression « tirer la chasse » est utilisée pour faire référence au reflux de la marée. Et je trouve que c’est parfait parce que lorsque le port se vide, on dirait que quelqu’un a retiré le bouchon de la baignoire.

Port de Roscoff à marée base et à marée haute. Auteur: F. Rodríguez
Port de Roscoff. Auteur: F. Rodríguez

En raison de la turbulence des marées, la colonne d’eau reste mélangée toute l’année. En d’autres termes, il n’y a pas de stratification en été dans la couche de surface.

Les nutriments ne sont donc jamais complètement épuisés et les reines du phytoplancton sont les diatomées (heureuses comme des porcelets dans la boue grâce à cette agitation).

La biodiversité se trouve ici principalement dans les macroalgues et les communautés intertidales, et non dans le phytoplancton.

Cela n’enlève rien au fait que la Station Biologique abrite l’une des plus importantes collections de cultures (RCC) au monde, avec un catalogue disponible de quelque 5500 souches (incluant virus, bactéries, microalgues et macroalgues). Cette collection est étroitement liée au groupe de recherche de référence sur le plancton marin (ECOMAP).

La Manche est une mer épicontinentale – sur la croûte terrestre – et également peu profonde (63 m en moyenne).

La turbulence et la faible profondeur favorisent la présence dans la colonne d’eau d’espèces benthiques et ticopélagiques de diatomées (p.ex. Amphora, Diploneis, Fragilaria, Nitzschia et Paralia) qui vivent la plupart de l’année dans les sédiments mais qui, avec le mouvement, se remettent en suspension et deviennent abondantes, surtout en automne et en hiver.

Dans ces images, vous pouvez voir certaines des diatomées caractéristiques de la région…

Diatomées dans des échantillons de la station SOMLIT-Astan. A) Guinardia delicatula, B) Guinardia striata, C) Thalassiosira rotula, D) Coscinodiscus sp., E) Lauderia annulata, F) Thalassionema nitzschioides. Auteure: Fabienne Rigaut-Jalabert (responsable Service Observation, SBR).

Le portrait actualisé et complet des communautés phytoplanctoniques de Roscoff est disponible dans un article (encore en preprint) du groupe ECOMAP de la Station Biologique (Caracciolo et col.). Il consiste en une analyse des échantillons collectés à la station SOMLIT-Astan entre 2009-2016, analysés par microscopie et biologie moléculaire (séquençage massif de l’ADNr 18S, V4).

Dissodinium pseudolunula (dinoflagellé). Echantillon de la station SOMLIT-Astan. Auteure: Fabienne Rigaut-Jalabert (responsable Service Observation, SBR).

Au microscope, les diatomées l’emportent haut la main, représentant les 3/4 des espèces identifiées et près de 90 % des comptages de phytoplancton.

Loin derrière se trouvent les dinoflagellés avec 15% des espèces (mais seulement 7% des dénombrements), puis les autres groupes (haptophytes, euglenophytes, ciliés, etc.) se partagent le reste.

Cependant, les résultats moléculaires (cellules >3 microns) dressent un tableau différent: 1/3 des séquences sont des dinoflagellés, 22% des diatomées, suivies des cryptophycées (11%) et des chlorophycées (4%). Et plusieurs groupes hétérotrophes (parasites tels que Cercozoa et Sindiniales, ciliés, etc.) contribuent ensemble à 20% des séquences.

Au printemps et en été, les genres de diatomées tels que Chaetoceros, Guinardia, Skeletonema et Thalassiosira sont dominants. Mais la génétique a révélé qu’il existe un reste de petits « nanodiatomées » qui échappent aux comptages traditionnels, notamment Minidiscus en hiver, et d’autres genres comme Arcocellulus/Minutocellus, Cyclotella et Thalassiosira le reste de l’année.

Grâce à la biologie moléculaire, il est possible de détecter des parasites difficilement reconnaissables au microscope tels que les Cryothecomonas infectant les diatomées (notamment Guinardia) et les Sindiniales (parasites des dinoflagellés), qui constituent également une partie importante de la communauté planctonique « observable » par l’ADN.

Une comparaison directe entre la microscopie et la biologie moléculaire n’est pas possible étant donné les différences entre les deux techniques : les petites cellules (<10 microns) sont inclassables au microscope et/ou passent inaperçues tandis que la génétique surestime les organismes possédant de nombreuses copies d’ADNr 18S (dinoflagellés) ou ceux dont l’ADN est mieux extrait et amplifié. L’inverse est vrai pour les groupes qui sont sous-estimés parce qu’ils ont moins d’ADN et/ou sont plus faciles à amplifier.

Et les virus dans cette histoire? Guinardia delicatula est une espèce emblématique des blooms de diatomées à Roscoff et dans la Manche en général. Eh bien, en 2018, Arsenieff et col. ont identifié pour la première fois des virus qui infectent spécifiquement cette diatomée (GdelRNAV), isolée dans la phase finale de ses proliférations en été.

Coupes ultrafines de Guinardia delicatula (RCC3083) et de particules virales (GdelRNAV-01) par TEM. (A) Contrôle sain. (B-E) G. delicatula infecté par GdelRNAV-01, à différents grossissements. Auteure: Arsenieff et col. (2018). Source: Researchgate.

Il est intéressant de noter qu’ils appartiennent à la même classe de virus (Pisoniviricetes) que le virus SARS-CoV-2 responsable des dommages causés par le COVID-19. Tous les deux sont des virus à ARN simple brin positif (ARNm+). C’est-à-dire que leur information génétique n’est pas écrite en ADN mais en ARN et dans le même sens (+) que les brins d’ARNm de l’hôte.

C’est pourquoi son ARN peut être directement traduit en protéines dans les ribosomes des cellules infectées, initiant leur expression et leur réplication dans l’hôte. Aussi simplement que ça…

Les virus ARNmc+ infectent toutes sortes d’organismes: des archées et des bactéries aux protistes, en passant par les plantes et les animaux (y compris les pangolins et les chauves-souris, comme nous le savons tous).

Dans le cas des virus GdelRNAV infectant G. delicatula, leur génome ARN est de 9 kb. C’est peu par rapport aux 29 kb du SRAS-CoV-2 mais suffisant pour infecter et produire 90.000 nouveaux virus par cellule en moins de 12 heures et pour tuer les cultures de G. delicatula en laboratoire.

On ne pense pas que ces virus soient capables de contrôler les populations de G. delicatula dans la nature, mais on pense qu’ils font partie des agents pathogènes qui interagissent avec elles et qu’ils pourraient jouer un rôle plus important dans les dernières étapes de leur prolifération.

Pendant cette période, les cellules ralentissent ou cessent de croître et peuvent être plus vulnérables aux attaques virales, comme cela a été démontré chez d’autres diatomées telles que Chaetoceros.

Je ne sais pas pour vous, mais vu les circonstances, j’ai envie de finir cet article avec autre chose que des histoires de virus…

Lors d’un récent séjour à la Station Biologique (Oct-Nov 2021) j’ai découvert cette chanson de Polo&Pan dont le titre reflète le leitmotiv du blog : montrer Les jolies choses comme la France, la Bretagne, ses habitants et le phytoplancton bien sûr !

Remerciements: a Fabienne Rigaut-Jalabert (responsable Service Observation, SBR) pour les images de phytoplancton á SOMLIT-Astan.

Références:

  • Arsenieff L. et col. First viruses infecting the marine diatom Guinardia delicatula. Front. Microbiol. 9:3235 (2018).
  • Caracciolo M. et col. Seasonal temporal dynamics of marine protists communities in tidally mixed coastal waters. bioRxiv preprint doi: https://doi.org/10.1101/2021.09.15.460302 (17 Sep 2021).
  • Guilloux L. et col. An annotated checklist of Marine Phytoplankton taxa at the SOMLIT-Astan time series off Roscoff (Western English Channel, France): data collected from 2000 to 2010. Cah. Biol. Mar. 54:247-256 (2013).
  • Roscoff: un coin de Finistère, plaque tournante au Temps des Corsaires. Karg-Keriven P & Karg F. Atlantis, 128 pp. (2000).

Tiwanaku

Image de couverture: ville de Tiwanaku (ou Tiahuanaco). Source: lapaz.bo

Traduit par Marc Long

Le lac Titicaca est le plus haut lac navigable du monde, une oasis gigantesque d’origine glaciaire, à 3 800 mètres d’altitude sur le haut plateau des Andes. C’est la principale destination touristique de la Bolivie. Le lac est partagé avec le Pérou.

Sa présence adoucit le climat de la région, augmente l’humidité et la productivité de la terre. Une terre occupée et travaillée par diverses cultures et civilisations depuis plus de 4000 ans.

(Île flottante sur le lac Titicaca. Source: El Confidencial)

La civilisation de Tiahuanaco (ou Tiwanaku, dans la vallée du même nom au sud-est de Titicaca) est le meilleur symbole de la culture précolombienne.

La civilisation Tiwanaku était l’une des civilisations les plus anciennes et les plus importantes d’Amérique du Sud, elle a prospéré entre le VIe et le XIe siècle. Sa domination n’était pas militaire, elle exerçait son influence par le commerce, l’agriculture et la religion.

Les Tiwanakus pratiquaient une agriculture intensive sur les plaines inondables et les pampas (plaines) du lac. Ils ont notamment développé des cultures dans le bassin sud-est du Titicaca : le plus petit lac, Wiñaymarka (ou Huiñamarca), relié par un détroit <1 km.

Carte de la région du Titicaca. Source: Geocaching

Cette agriculture, associée à la production de maïs dans d’autres régions ainsi qu’à l’élevage de camélidés (lamas et alpagas ; domestiqués à partir de guanacos et de vigognes), a permis le commerce sur de longues distances pendant 600 ans.

Cette communauté politique et religieuse s’est effondrée vers 1100. Les origines du déclin de Tiwanaku font l’objet de diverses hypothèses, dont l’une d’elle serait une période de sécheresse prolongée dans la région.

Après Tiwanaku, l’occupation du lac s’est poursuivie par des populations autonomes qui ont exploité les zones cultivables jusqu’à l’arrivée de l’empire inca vers 1450.

Mais le climat a t’il été à l’origine de la fin des Tiwanakus?

Les changements climatiques figurent toujours parmi les causes favorisant l’essor ou entrainant le déclin des civilisations anciennes. En effet, les populations ont une grande dépendance à l’égard d’une agriculture stable (le maïs dans les cultures précolombiennes) et donc de l’approvisionnement en eau (avec la nécessité de périodes humides et sèches tout au long de l’année).

Pour étudier les variations climatiques, le dossier archéologique fournit des données de différents types qui peuvent être confrontées aux changements socioculturels…

Et comment étudier les oscillations climatiques dans une région dotée d’un immense lac? En utilisant les fossiles du plancton, en particulier ceux laissés par les diatomées et leurs frustules de silice pendant des milliers d’années dans les sédiments.

Les diatomées forment un composant abondant du phytoplancton avec des modes de vie variés et une multitude d’espèces. Sachant cela, deux études récentes (Weide et col. 2017; Bruno et col. 2021) les ont utilisées pour estimer les variations de profondeur et de salinité dans le Wiñaymarka.

Salar de Uyuni, la plus grande réserve de lithium au monde. Source: LonelyPlanet

Le lac Titicaca possède une superficie de 8562 km2 (un peu moins de la moitié du lac Ontario…), comprenant le lac Wiñaymarka qui représente à lui seul 1470 km2.

Et c’est ce lac qui nous intéresse en raison de son influence sur la vallée de Tiwanaku.

Sa petite taille – et son lien étroit avec le grand lac Titicaca – rend son niveau plus sensible aux fluctuations du climat. Les changements seront d’autant plus visibles chez les diatomées…

Pendant les périodes sèches des derniers millénaires, la communication entre le lac principal et Wiñaymarka a été réduite, voire interrompue.

Durant ces périodes, l’évaporation fait baisser le niveau du bassin et fait augmenter la salinité du lac.

Dans les cas extrêmes, le lac aurait pu s’évaporer complètement et laisser place à un immense plateau salé. Bien que cela ne se soit pas produit au lac Titicaca, un autre lac immense se trouvant sur les hauts plateaux de Bolivie a subi ce sort: l’actuel Salar de Uyuni. Parfaitement visible sur la photo ci-dessous comme une étendue blanche au sud du Titicaca.

Les variations climatiques et leurs effets sur le niveau du Titicaca sont un puissant moteur de l’évolution des diatomées.

Par exemple, différentes périodes climatiques – au cours des 400 000 dernières années – ont été mises en relation avec les changements de taille d’une espèce endémique et actuellement dominante : Cyclostephanos andinus.

(Image: geog.ucl.ac.uk).

Pour reconstituer les périodes climatiques (4000 ans) dans le Wiñaymarka des échantillons de sédiments ont été prélevés (jusqu’à environ 40 m de profondeur) et les fossiles de diatomées ont été répartis en 5 groupes écologiques:

  • 1>Planctoniques d’eau douce: vivant dans la colonne d’eau à des salinités faibles. (Cyclostephanos andinus, Discostella stelligera et Fragilaria crotonensis).
  • 2>Planctoniques halotolérantes: pouvant vivre dans l’eau douce ou modérément salée (Cyclotella meneghiniana).
  • 3>Benthiques: habitant les substrats éclairés dans les eaux peu profondes. (p.ej. Nitzschia denticulata et Epithemia spp.).
  • 4>Epiphytes: poussant attachés aux plantes (Cocconeis spp.).
  • 5>Salines: ayant besoin de salinités supérieures à 2g L-1 pour survivre (Chaetoceros sp., Fragilaria zelleri).

Tout ceci est un exemple de la façon dont la « science fondamentale » (dans ce cas, la taxonomie et l’écologie des diatomées) peut contribuer à d’autres types d’études, en l’occurrence ici des études anthropologiques.

Évolution des 5 principaux groupes de diatomées au cours des 4000 dernières années dans le lac Wyñaymarka. Auteur: Bruno et al. (2021), modifié de Weide et al. (2017). Source: Researchgate

La méthode est qualitative, mais permet d’estimer les changements de niveau du lac et de les mettre en relation avec d’autres indicateurs archéologiques (plantes, animaux et archives géologiques).

En période sèche, le Wiñaymarka était moins profond et la population de microalgues était dominée par des diatomées épiphytes et benthiques. Lorsque son bassin a été encore plus réduit et isolé du bassin principal, la salinité a augmenté et a favorisé les diatomées salines.

Au contraire, lorsque les niveaux d’eau ont remonté, les espèces halotolérantes ont occupé cette niche de salinités intermédiaires et d’eaux plus profondes. Enfin lorsque les niveaux d’eau ont atteint les niveaux actuels, les espèces d’eau douce ont dominé.

Finalmente, si el nivel sube a valores como los actuales lo que predominan son especies de agua dulce.

Les résultats ont été très révélateurs et ont mis en évidence les changements suivants. Le Wiñaymarka a oscillé entre des niveaux bas et des salinités modérées depuis le début de la série historique (4000 av. J.-C.) jusqu’à 700 av. J.-C. Pendant ces siècles, le climat a varié, mais les diatomées d’eau douce sont restées minoritaires…

Depuis, les diatomées d’eau douce ont renforcé leur présence. Cette augmentation ne se produit que lorsque le Wiñaymarka atteint son niveau maximum et déborde par la rivière Desaguadero.

Cette première augmentation a semblé ralentir vers 1120, soit à la fin de la civilisation Tiwanaku. Une nouvelle augmentation – 150 ans plus tard – l’a amené jusqu’aux niveaux actuels.

Ainsi, le Wiñaymarka atteint pour la première fois des dimensions comparables à celles présentes au milieu de la période Tiwanaku. Alors que pendant les siècles précédents, il était toujours à des niveaux inférieurs.

Les diatomées nous apprennent que les Tiwanaku ont connu des climats secs (avec des sécheresses modérées) et des climats humides similaires à ceux d’aujourd’hui. Sa disparition n’a coïncidé avec aucune sécheresse catastrophique.

Cela confirmerait l’hypothèse selon laquelle les problèmes politiques et sociaux (et non climatiques) seraient la principale raison de la disparition de la civilisation de Tiwanaku.

Pourtant la sécheresse prolongée a existé. Les diatomées et les marqueurs géologiques coïncident et semblent indiquer une grande sécheresse après la civilisation Tiwanaku (vers 1200).

Bergère et troupeau de moutons et de lamas sur le Titicaca. Source: alamy

La conclusion de ces études est qu’aucune relation directe n’a pu être établie entre les oscillations du lac et les changements socio-culturels de ses habitants dans le passé.

La région a subi des variations climatiques continues et chaque période archéologique a comporté des conditions sèches et humides.

Mais les différentes civilisations du Titicaca se sont adaptées à ces variations en maintenant une occupation et une utilisation constantes de cette zone pendant des milliers d’années.

Les populations indigènes d’aujourd’hui appliquent leur connaissance des cycles de pluie et du niveau des lacs pour gérer les ressources naturelles.

Références:

  • Bruno M.C. et col. The Rise and Fall of Wiñaymarka: Rethinking Cultural and Environmental Interactions in the Southern Basin of Lake Titicaca. Human Ecol. 49(2): 131-145 (2021).
  • Spanbaeur T.L. et col. Punctuated changes in the morphology of an endemic diatom from Lake Titicaca. Paleobiol. 44(1):88-100. (2018).
  • TRÓPICO. Libro de Viaje – Lago Titicaca (entre cultura y naturaleza). TRÓPICO – Red Lagos Vivos de América Latina y el Caribe. Banco Interamericano de Desarrollo?. 207 pp. (2011).
  • Weide D.M. et col. A ~6000 yr diatom record of mid-to late Holocene fluctuations in the level of Lago Wiñaymarca, Lake Titicaca (Peru/Bolivia). Quat. Res. 88(2):179-192 (2017).

Après la guerre

Marché de Noël sur la Place de la Liberté (Brest). Source : Office de tourisme Brest métropole

Rappelle-toi Barbara

Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là

Et tu marchais souriante

Barbara (Jacques Prévert, 1946)

Traduit par Marc Long

J’ai découvert Brest lors d’un congrès en 2000. La ville m’a laissé une impression étrange, comme si j’étais dans une maquette grandeur nature. Tout était très bien rangé et à sa place.

J’ai vite appris que Brest avait été rasée (littéralement) pendant les bombardements de la Seconde Guerre mondiale. Le sentiment que j’avais de ses rues émanait donc de quelque chose de bien réel.

Au fil des ans, j’ai découvert que la Bretagne est une région qui regorge de villages charmants: maisons, châteaux et bâtiments uniques vous ramenant des siècles en arrière.

Rennes, Saint Malo et Lorient sont des exemples d’autres villes bretonnes détruites pendant la guerre. Mais le cas de Brest est particulier: c’était un important port militaire occupé par les nazis en 1940, où a été construite une base de sous-marins. Ils y ont fait une place forte pendant 4 ans et ne l’ont pas quittée de leur propre initiative…

Brest a subi des bombardements continus (plus de 300 !) par les Alliés jusqu’à sa libération en 1944. Le siège de Brest a été dévastateur et lorsque les troupes américaines ont hissé leur drapeau, elles l’ont fait au milieu d’un champs de ruines, dans un paysage post-apocalyptique. Seule une bonne partie du château médiéval et le musée de la marine à l’intérieur ont résisté.

Déminage d’une mine dans la rade de Brest (15 septiembre 2020). Auteur : Marine Nationale. Source: Le Télégramme

La reconstruction a été loin d’être facile.

Aujourd’hui, Brest est une ville d’apparence moderne, sans centre historique. Des obus, des mines et des bombes d’avion, y sont encore régulièrement retrouvés, (dans le sous-sol et dans la rade).

Elle compte quelques 140 000 habitants et (au cas où cela vous intéresserait) est jumelée avec Coruña.

Depuis la fin du 20ème siècle, une augmentation progressive du dinoflagellé Alexandrium minutum, producteur de toxines paralysantes (saxitoxines), a été observée dans la baie de Brest. Sa première prolifération en Bretagne a été détectée en 1987, mais plus au sud, dans la baie de Vilaine…

Dans la rade de Brest, sa présence était occasionelle jusqu’en 2008. Mais en 2009, une première efflorescence importante a eu lieu, suivie en 2012 d’une autre prolifération très importante. L’efflorescence de 2012 a provoqué les premières contaminations de coquillages avec des niveaux dépassant 10 fois les niveaux autorisés de saxitoxines, entrainant ainsi des interdictions de commercialisation. Les proliférations se sont étendues à d’autres estuaires de la côte atlantique française, où le dinoflagellé continue à provoquer des fermetures fréquentes dans le secteur de l’aquaculture.

Dans une telle situation, on peut se demander si A. minutum est l’exception dans un écosystème stable ou si sa récente prolifération reflète des changements plus larges dans les communautés.

Marée rouge de Alexandrium minutum dans l’estuaire de la Penzé (Bretagne). Source: Ifremer.

Alors… le phytoplancton de la rade de Brest a-t-il changé ? Eh bien, la réponse est OUI.

Et maintenant posons-nous les questions suivantes: quand, comment et pourquoi?

Les séries historiques sur le phytoplancton ne datent que de quelques décennies et n’offrent pas de larges perspectives (à l’exception, par exemple, de l’enquête CPR britannique CPR survey, qui a débuté en 1931).

Mais il existe des alternatives. La détection des formes de résistance (kystes) dans les sédiments des fonds marins et les analyses de l’ADN environnemental permettent de savoir si un dinoflagellé toxique comme A. minutum est nouveau dans le voisinage ou s’il est un résident régulier.

Une première étude en 1993 (Erard-Le Denn et al.) n’a pas détecté de kystes d’A. minutum dans les sédiments de la rade de Brest avant 1990. Mais Siano et al. en 2021 sont allés un peu plus loin, en échantillonnant 3 zones dans la rade de Brest. Ils ont analysé l’ADN environnemental dans des carottes de sédiments du fond de la rade (de la surface jusqu’à une profondeur maximale de 12 m) pour reconstituer les paléocommunautés de protistes (autrement dit les communautés que l’on retrouvait en rade à l’époque).

Ils ont ainsi réussi à en reconstituer la composition, microalgues comprises, et remonter jusqu’au Moyen Âge (1121±149). C’est de cette manière qu’il est possible de connaître le point de départ de l’époque préindustrielle et d’aborder des questions aussi intéressantes que celles que vous verrez ci-dessous…

Au cours des siècles qui ont vu les règnes de François Ier (1515-1547), du Roi-Soleil, Louis XIV (1643-1715) ou du dernier Bonaparte (Napoléon III, 1852-1870), le phytoplancton brestois est resté impassible tant pour l’avenir de la France que pour celui de l’humanité en général.

Biecheleria tirezensis. Source: Raho et col. (2018)

A cette époque, la rade de Brest était dominée par des dinoflagellés de l’ordre des Suessiales (Pelagodinium et Biecheleria/Protodinium). Les Suessiales ne produisent pas de toxines mais ils se caractérisent par un grand nombre de plaques thécales par rapport aux autres dinoflagellés. Pourquoi ? Eh bien, allez savoir

Puis, parmi les straménopiles – qui comprennent les protistes hétérotrophes et les diatomées – les premiers ont régné en maîtres.

Les changements dans le phytoplancton de la baie de Brest sont seulement intervenus au milieu du 20ème siècle.

Les communautés de dinoflagellés ont changé radicalement au cours des années 1940. Les Suessiales « historiques » ont été remplacées par un nouvel ordre, les Gonyaulacales, d’abord par le genre Gonyaulax et à partir des années 1980 par Alexandrium et Heterocapsa (ordre des Peridiniales).

Quant aux straménopiles, dans les années 40 et 50, le règne des organismes hétérotrophes a fait place aux diatomées parmi lesquelles Chaetoceros s’est distingué jusque dans les années 1980. Puis, depuis les années 1990, il a été détrôné par le genre Thalassiosira entre autres.

Que s’est-il passé au cours de ces deux périodes du 20e siècle (années 1940 et 1980) pour que le phytoplancton subisse des changements irréversibles?

Et bien, une activité industrielle frénétique liée à l’occupation nazie entre 1940 et 1944 et la chute de 30 000 tonnes de bombes sur la ville qui a sûrement contaminé la baie (directement et par les eaux continentales).

C’est ainsi que le poème « Barbara » décrit cet enfer: « Sous cette pluie de fer / De feu d’acier de sang » (J. Prévert).

Résumé graphique des résultats des paleocommunautés en rade de Brest. Auteur: Siano et col. (2021). Source: x-mol.com

Siano et al. avouent la difficulté de connaître avec précision la composition métallique des projectiles mais les anomalies de plomb et de chrome dans les sédiments de Brest coïncident avec celles de Pearl Harbor (USA) après le violent bombardement de l’aviation japonaise.

Et les changements intervenus dans les années 80 et 90 ? Dans ce cas, ils seraient liés au déséquilibre du rapport azote/phosphore (N/P) en rade de Brest.

Les nitrates provenant des engrais et du regain d’activité agricole à partir des années 1950-60 sont la cause de ce déséquilibre. Le développement agricole continu dans la seconde moitié du 20ème siècle a conduit à un doublement des taux de nitrates dans les rivières de l’Aulne et de l’Elorn entre les années 1970 et 1990.

Les changements anthropiques diminuent également le rapport entre le silicate (Si) et N et P, ce qui a d’autres conséquences sur la composition du phytoplancton : la productivité des diatomées peut perdre du poids au profit d’autres groupes, notamment les dinoflagellés toxiques.

Néanmoins, la rade de Brest a bien résisté aux proliférations de dinoflagellés toxiques jusqu’à la dernière décennie. Et une curieuse hypothèse pourrait expliquer celà : une “bombe à retardement” de silicate liée à un organisme invasif.

Après la Seconde Guerre mondiale, la culture de l’huître du Pacifique (Crassostrea gigas) a été introduite et, avec elle, une autre espèce invasive sans valeur économique : le gastéropode Crepidula fornicata.

Les populations de Crepidules se sont tellement développées qu’elles ont fini par couvrir de vastes zones au fond de la rade de Brest…

Communautés de Crepidula fornicata et coquilles Saint-Jacques dans la rade de Brest. Source: Stiger-Pouvreau & Thouzeau (2015).

Il y avait des plans pour les éradiquer mais il y a 10 ans les populations ont commencé à régresser (on ne sait pour quelle raison). Ils constituaient une menace sérieuse pour l’aquaculture car ils entraient en compétition avec des bivalves d’intérêt commercial comme les coquilles Saint-Jacques (Pecten maximus).

Mais les Crepidules ont un autre effet. Ils filtrent l’eau et produisent des bio-dépôts enrichis en silicate, élément essentiel pour les diatomées.

Ainsi, après la prolifération des diatomées au printemps, les bio-dépôts de Crepidula retenant les silicates se dissolvaient ensuite dans l’eau, et facilitaient la croissance des diatomées pendant l’été.

Au début du 21e siècle, des résultats expérimentaux et des modèles ont appuyé cette hypothèse  » Si/Crepidule « , indiquant que leur éradication avait potentiellement augmenté la probabilité de proliférations de dinoflagellés toxiques en raison de la limitation en silicate pendant l’été.

Au cours de la dernière décennie, alors que Crepidula a reculé, les efflorescences toxiques telles que celles d’A. minutum sont devenues récurrentes. C’est donc le bon moment pour réévaluer cette hypothèse établissant un lien entre les différentes communautés et les équilibres biogéochimiques actuels.

L’étude des paléocommunautés de la baie de Brest (Siano et al.) montre que l’influence humaine en baie de Brest a transformé les conditions environnementales préindustrielles modifiant inéluctablement les assemblages de phytoplancton. Ces conditions ont également changé avec l’introduction d’espèces « ingénieurs de l’écosystème » telles que Crepidula ou d’autres espèces invasives.

Donc rien n’a plus été pareil après la guerre. Tant pour les personnes que pour le phytoplancton…

En 1962 sort l’album « Yves Montand chante Jacques Prévert« , qui comprend un poème émouvant, « Barbara« , écrit par Prévert en 1946.

Cet article commence et se termine avec lui, pour que nous n’oublions pas que la guerre est une connerie qui emporte tout, sauf la douleur et les souvenirs de ceux qui y ont survécu

Remerciements: à Marc Long, tant pour une nouvelle traduction que pour m’envoyer l’article de Raffaele Siano et col.

Références:

  • Chapelle A. y col. The bay of Brest (France), a new risky site for toxic Alexandrium minutum blooms and PSP shellfish contamination. Harmful algae news 51:4-5 (2015).
  • Erard-Le Denn E. y col. In: Smayda T.J. & Shimizu Y. (Eds.). Toxic Phytoplankton in the Sea. Elsevier Science Publisher, pp. 109-114 (1993).
  • Raho N. y col. Biecheleria tirezensis sp. nov. (Dinophyceae, Suessiales), a new halotolerant dinoflagellate species isolated from the athalassohaline Tirez natural pond in Spain. Eur. J. Phycol. 53:99-113 (2018).
  • Ragueneau O. y col. The Impossible Sustainability of the Bay of Brest? Fifty Years of Ecosystem Changes, Interdisciplinary Knowledge Construction and Key Questions at the Science-Policy-Community Interface. Front. Mar. Sci. 5:124 (2018).
  • Siano R. y col. Sediment archives reveal irreversible shifts in plankton communities after World War II and agricultural pollution. Curr. Biol. 31:1–8 (2021).
  • Stiger-Pouvreau, P. & Thouzeau, G. Marine Species Introduced on the French Channel-Atlantic Coasts: A Review of Main Biological Invasions and Impacts. Open Journal of Ecology 5:227-257 (2015).

La république des tortues

Image de couverture : blason du territoire britannique de l’océan Indien. Auteur : Demidow. Source : Wikipedia

Traduit par Marc Long

Toute surface en contact avec l’eau de mer peut être colonisée. Lorsque la colonisation a lieu sur une surface inerte, on parle d’encrassement (« fouling » en anglais) mais si le « support » est un être vivant, on parle d’épibiose. Les tortues sont particulièrement concernées par ce sujet, car elles ne portent pas seulement leur maison sur leur dos, mais tout un écosystème

La peau et la carapace des tortues sont parfaites pour le développement de différents épibiontes, à la fois sessiles (bien ancrés à la carapace!), sédentaires (qui se déplacent un peu mais pas trop loin non plus), ou mobiles. Et combien peut-il y en avoir ? Il suffit de regarder les tortues caouannes (Caretta caretta) pour trouver plus de 200 espèces d’épibiontes.

La République Tortue. Parmi ses paisibles citoyens, on trouve les Cirripèdes (un groupe de crustacés comprenant les balanes ou encore les pouce-pieds), considérés comme des pionniers puisqu’ils facilitent l’arrivée d’autres colonisateurs. Ils adhèrent à la fois à la coquille et aux tissus mous et peuvent former d’énormes colonies sur certains spécimens.

Outre les balanes, on trouve toutes sortes de crustacés, de mollusques, de cnidaires, d’échinodermes, de macroalgues (vertes, brunes, rouges), d’éponges et même de poissons qui profitent de la République des tortues pour vivre de manière mutualiste, commensale ou – plus rarement – parasitaire.

Un exemple classique est celui des crabes du genre Planes qui vivent généralement en couple et se cachent dans la zone de la queue (oui oui, ils se réfugient dans le cul des tortues), d’où ils sortent pour se nourrir d’autres épibiontes. Les tortues offrent une protection à leurs colonisateurs et réduisent la concurrence avec les autres espèces. Pour les tortues, les épibiontes peuvent être un fardeau inconfortable, mais peuvent également constituer un camouflage (visuel, chimique et électrique) et une défense contre les prédateurs.

Et le phytoplancton dans toute cette histoire?

Les phases initiales de la colonisation des tortues (avant l’arrivée des macro-organismes) comprennent généralement l’absorption de macromolécules en surface, suivie de l’installation de bactéries puis viennent les eucaryotes unicellulaires (protozoaires, champignons et les diatomées).

Chelonicola costaricensis. Source: Majewska et col. (2015)

L’existence de microalgues épibiontes et de communautés spécifiques chez les baleines et les dauphins est connue depuis longtemps. Nous en avons parlé dans « En la piel de las ballenas » (article en espagnol).

Mais concernant les tortues, il n’y a pas eu d’articles publiés avant 2015! Incroyable non ? Bon, peut-être pas tant que ça, mais moi en tous les cas ça m’étonne…

Les études que j’ai parcourues décrivent des diatomées épizoïques couvrant toute la surface disponible des tortues avec des densités moyennes de 17 000 cellules/mm2.

Leur diversité est généralement faible et elles font partie d’un biofilm avec de la matière organique d’origine bactérienne – et des diatomées elles-mêmes – qui contribue à la stabilité physique et à la survie des communautés microbiennes.

Ça ne doit pas être simple de vivre sur une tortue. Les conditions instables et le défi adaptatif qu’elles imposent peuvent expliquer la faible diversité des espèces dans les travaux réalisés à ce jour.

Depuis 2015, des diatomées de nouveaux genres et espèces ont été décrites avec des noms aussi curieux que Chelonicola costaricensis (Chelonicola parce qu’elle vit sur les tortues qui appartiennent à l’ordre des “Chéloniens”, et costaricensis parce qu’elle a été isolée de carapaces de tortues olivätres (Lepidochelys olivacea) venant pondre sur la plage d’Ostional, au Costa Rica).

De nouveaux genres ont également été identifiés, comme Poulinea et Medlinella, ou de nouvelles espèces d’autres genres comme Tursiocola (T. denysii, T. guyanensis et T. ying-yangii) ou Tripterion (T. societatis), typiques des cétacés (diatomées « cétacés »)…

…d’autres genres plus communs dans les biofilms marins comme Achnantes, Nitzschia et Proschkinia (P. sulcata, P. lacrimula, etc.), ont également été retrouvés. Mais également Labellicula (L. lecohuiana) dont la seule espèce connue (L. subantarctica) a été trouvée sur une falaise.

Parmi toutes ces espèces, Tursiocola ying-yangii a attiré mon attention, elle a été nommée ainsi car la forme de ses aréoles (petits trous dans la couverture de silice) rappelle le symbole du ying-yang.

Le degré de spécificité et la distribution biogéographique de ces diatomées sont à peine connus en raison de l’attention récente et des rares études à leur sujet.

La Tortue Rouge (M. Dudok de Wit, 2016). Une histoire muette et inoubliable. Source: cinemascomics

Leur mode de vie épizootique pourrait être obligatoire dans certains cas, car leur présence sur d’autres surfaces semble accidentelle ou liée à l’activité de leurs hôtes.

Davantage d’études sont toutefois nécessaires pour connaître leur degré d’association : certaines semblent bien adaptées et pionnières, tandis que d’autres diatomées peuvent adhérer plus tardivement et sont révélatrices de l’habitat où les tortues se nourrissent où se reproduisent.

L’étude des espèces et des communautés de diatomées épizoïques présente donc un grand intérêt écologique. Il ne s’agit pas seulement d’élaborer des listes taxonomiques et de découvrir de nouvelles espèces.

Les tortues juvéniles vivent généralement dans les zones pélagiques (près de la surface) et océaniques ; elles ont ensuite tendance à choisir les environnements côtiers et benthiques. Selon l’âge, la zone géographique et l’habitat, leurs épibiontes évoluent donc naturellement pour refléter ces changements de vie.

C’est pourquoi les études sur la faune associée et l’épibiose chez les tortues peuvent contribuer à la connaissance de leur distribution géographique, de leur habitat et de leurs migrations, en fournissant des données complémentaires au marquage, à la télémétrie par satellite, à l’analyse isotopique, à la génétique des populations…

Mais attention la succession naturelle des épibiontes peut également être rompue lorsque les tortues lissent leur carapace en se frottant contre des surfaces immergées!

Références:

  • Báez J.C. et col. Preliminary check-list of the epizoic macroalgae growing on loggerhead turtles in the Western Mediterranean Sea. Marine Turtle Newsletter 98:1-6. (2002).
  • Frankovich T.A. et col. Tursiocola denysii sp. nov. (Bacillariophyta) from the neck skin of Loggerhead sea turtles (Caretta caretta). Phytotaxa 234:227–236 (2015).
  • Frick M.G et Pfaller J.B. Sea Turtle Epibiosis. The Biology of Sea Turtles Volume III. Chapter: 15. CRC Press Editors: J. Wyneken, K.J. Lohmann, J.A. Musick. pp. 399-426 (2013).
  • Majewska R. et col. Diatoms and Other Epibionts Associated with Olive Ridley (Lepidochelys olivacea) Sea Turtles from the Pacific Coast of Costa Rica. PLoS ONE 10(6):e0130351 (2015).
  • Majewska R. et col. Labellicula lecohuiana, a new epizoic diatom species living on green turtles in Costa Rica. Nova Hedwigia, Beiheft 146:23–31 (2017).
  • Majewska R. et col. Six new epibiotic Proschkinia (Bacillariophyta) species and new insights into the genus phylogeny. Eur. J. Phycol. 54:609–631 (2019).
  • Riaux-Gobin C. et col. New epizoic diatom (Bacillariophyta) species from sea turtles in the Eastern Caribbean and South Pacific. Diatom Res. 32:109-125 (2017).
  • Riaux-Gobin C. et col. Two new Tursiocola species (Bacillariophyta) epizoic on green turtles (Chelonia mydas) in French Guiana and Eastern Caribbean. Fottea, Olomouc 17:150–163 (2017).

Les diatomées des noyés

Image: La plage des noyés. Un film de Gerardo Herrero (2015). Source: lacabecita

Traduit de l’espagnol par Marc Long

-On dirait qu’ils l’ont aidé à se noyer.

-Et ça ?

-Ses mains sont liées.

La plage des noyés (Domingo Villar, 2011)

Il y a un mois, dans le « Territorio Negro » de Julia en la Onda (une émission radio espagnole de faits divers), Ana García Rojo (cheffe de l’entomologie du Commissariat général de la police scientifique) a été interviewée sur l’importance des insectes dans la résolution de crimes.

En plus des insectes, Ana a également mentionné l’utilisation des diatomées dans les études médico-légales.

Ce fut une mention éphémère, mais elle eut le même effet que les phares d’un 4×4 aveuglant un lapin (j’étais le lapin bien sûr).

Et cette lumière aveuglante conduit à cette entrée en matière assez obscure….

Echantillon d’eau de mer de la ria de Pontevedra (juin 2013) rempli de diatomées. Auteur: F. Rodríguez

Les diatomées sont des marqueurs médico-légaux dans les systèmes aquatiques.

Et je pourrais citer deux raisons principales :

>>>> 1) On les trouve largement et abondamment selon la période de l’année dans les environnements marins, les eaux douces mais également dans des échantillons de sol.

>>>> 2) Elles sont très résistantes, comme des petits grains de sable en raison de leurs squelettes en verre (également appelés frustules) qui résistent aux traitements acides. Elles ont également une très forte diversité morphologique qui permet d’identifier plusieurs espèces.

Leur utilisation en pathologie médico-légale n’est pas nouvelle, elles sont utilisées depuis le début du XXe siècle.

Quelles sont les informations que cachent les diatomées ?

Mettons-nous en situation. L’objectif étant d’établir les causes et le lieu de décès de la victime d’un crime…

… et à ce sujet, les diatomées peuvent aider à savoir si la victime est morte par noyade. Mais également à quel endroit elle est morte.

Trouver la victime dans l’eau ne suffit pas à affirmer qu’elle s’est noyée.

Répartition des diatomées dans le corps humain selon qu’il y a noyade ou mort antérieure. Source: Pinterest (Sandi Weyl)

Même si le corps est découvert hors de l’eau, la victime a pu se noyer et le corps a pu être déplacé par la suite.

Si la personne était en vie, elle aurait avalé de l’eau avant de mourir, ainsi ses poumons seraient saturés d’eau.

La rupture des alvéoles pulmonaires permet à l’eau (et aux diatomées présentes) de pénétrer dans le sang.

Celles-ci sont ensuite dispersées dans différents organes (cerveau, cœur, reins, foie, etc.) et dans la moelle osseuse.

La taille maximale des diatomées qui traversent la barrière alvéolaire-capillaire est d’environ 110 µm.

Cela couvre une grande diversité de genres. Les études sur les tissus des cadavres retrouvés en eau douce citent entre autres les genres Achnanthes, Amphora, Asterionella, Campylodiscus, Cocconeis, Cyclotella, Fragilaria, Melosira, Navicula, Nitzschia, Pinnularia, etc.

La recherche des diatomées dans les tissus humains est généralement effectuée dans les organes et dans la moelle osseuse du fémur, après traitement chimique (avec de l’acide nitrique, de la protéinase K, etc.), pour éliminer la matière organique.

Dans le cas contraire, où la victime serait morte avant d’avoir été mise à l’eau, les diatomées pourraient pénétrer dans les poumons, mais elles ne seraient pas transportées activement vers le reste des organes ou vers la moelle osseuse.

Asterionella formosa est l’une des diatomées découvertes chez des victimes de noyade lors d’une étude menée en Finlande (Auer, 1991). Source: nordicmicroalgae

Si le décès est récent, il peut y avoir des signes extérieurs de noyade (peau pâle, mousse au niveau de la bouche et du nez). Mais après un certain temps, ces preuves disparaissent et le test des diatomées peut être très précieux pour découvrir l’origine du décès.

Malgré tout, le test des diatomées est loin d’être infaillible. Le test est influencé par de nombreux facteurs tels que l’abondance des diatomées dans l’environnement, le temps écoulé depuis la mort, l’état du corps, etc. Leur concentration est fortement réduite lorsqu’elles pénètrent dans les poumons et se dispersent dans les tissus de l’organisme

Les diatomées pourraient néanmoins confirmer un cas de noyade sur trois.

Une analyse de 738 victimes en Ontario (Canada) a conclu que les diatomées corroboraient 28% des noyades.

La plage du roman est celle de « A Madorra », près de la ville de Vigo en Galice. Source: amazon

Et le succès du test était associé au cycle saisonnier de ces organismes : plus l’abondance dans l’environnement est grande, plus la probabilité de trouver des diatomées sur les victimes est importante. Logique.

Etonnament, le test des diatomées a également été utilisé pour confirmer certains décès par noyade dans des salles de bain et des piscines…

Selon les auteurs, différents seuils sont considérés pour confirmer un résultat positif.

Par exemple, plus de 20 frustules de diatomées pour 100 μL de sédiments extraits dans 2 g de tissu (par exemple, le cœur, le cerveau, les reins, le foie et la moelle osseuse) ou 20 à 40 frustules dans 5 g de moelle osseuse, etc.

Ces valeurs peuvent varier en fonction des tissus analysés mais il n’existe pas de critère standard pour l’ensemble de la communauté médico-légale.

La biologie moléculaire (séquençage des gènes ribosomiques et mitochondriaux) a également été récemment intégrée à l’identification du plancton dans les études médico-légales.

Cette discipline permet d’obtenir des résultats positifs, même en l’absence de diatomées, grâce à la présence d’algues vertes et de cyanobactéries.

L’article Diatoms and homicide (Pollainen, 1998) illustre de nombreux exemples. Je vous préviens ces exemples sont macabres…

La diversité et la composition des diatomées dans les tissus humains peuvent également indiquer le lieu de la scène de crime en mettant en relation des échantillons d’eau ou de sol avec ceux de la victime.

L’identification automatique d’images est une autre technique qui pourrait être incorporée dans les études médico-légales. Modèle d’identification GoogleNet Inception-V3. Source: Zhou Y. y col. (2020).

Le mieux est de l’illustrer par des cas réels dans lesquels les diatomées ont joué un rôle fondamental…

  1. Un enfant de 5 ans au fond d’un lac. La moelle osseuse du fémur a révélé deux diatomées caractéristiques également présentes dans les échantillons du lac à côté du cadavre. Son père a finalement avoué le meurtre.
  2. Les restes carbonisés d’une adolescente dans une valise abandonnée sur un parking. Eh bien, plusieurs diatomées ont été trouvées dans la moelle osseuse du fémur et du sinus maxillaire, et ont permis de révéler la mort par noyade..
  3. Un transsexuel de 38 ans est mort dans une baignoire remplie d’eau et de savon. Quatre types de diatomées ont été découverts dans sa moelle osseuse fémorale, tout comme celles de la baignoire. Il a été étranglé, puis a été noyé sous l’eau..
  4. Le corps d’une femme de 25 ans dans un état de décomposition avancé dans une forêt. Des diatomées typiques du sol terrestre ont été retrouvées dans la moelle osseuse fémorale. L’exploration de la zone où le corps a été trouvé a permis de découvrir des diatomées identiques dans des étangs temporaires de la forêt. Elle avait été poignardée mais elle est morte noyée dans un fossé avec de l’eau..

Mais les diatomées ne sont pas seulement étudiées sur les corps des pauvres victimes. Les vêtements et les chaussures peuvent aussi conserver des cellules attachées avec lesquelles on peut relier un suspect à la scène de crime !

Remerciements : Patricia Quintas (IEO Vigo) qui m’a parlé de l’interview dans Julia en la Onda dès qu’elle a entendu parler des diatomées.

Marc Long

Un grand merci aussi à Marc Long pour cette traduction et d’autres dans l’avenir. Marc est un microbiologiste marin spécialisé dans l’étude de la physiologie du phytoplancton.

Il a réalisé sa thèse doctorale à l’Université de Wollongong (Australie) et à l’Université de Bretagne Occidentale (France). Marc a d’abord étudié la toxicité de polluants comme les microplastiques sur le phytoplancton et s’est ensuite spécialisé dans l’étude des interactions entre microalgues et avec d’autres microorganismes marins.

Marc s’intéresse plus particulièrement à la communication chimique entre microalgues marines et cherche à comprendre comment ces signaux chimiques pourraient expliquer le succès écologique de certaines espèces, notamment les espèces toxiques.

Références:

  • Auer A. Qualitative diatom analysis as a tool to diagnose drowning. Am J Forensic Med Pathol 12: 213-218 (1991).
  • Levkov Z. y col. The use of diatoms in forensic science: advantages and limitations of the diatom test in cases of drowning. In: Williams M. & col. (eds). The Archaeological and Forensic Applications of Microfossils: A Deeper Understanding of Human History. The Micropalaeontological Society, Special Publications. Geological Society, London, 261–277 (2017).
  • Pollainen M.S. Diatoms and homicide. Forensic Sci Int 91:29–34 (1998).