Natation synchronisée
Image de couverture: L’équipe de natation synchronisée [Auteurr: R. Rickman. Source: urbanfragment]
Gira el haz de luz para que se vea desde alta mar.
Yo buscaba el rumbo de regreso sin quererlo encontrar.
12 segundos de oscuridad (Jorge Drexler, 2006).
Texte traduit par Marc Long
La lumière est une source d’énergie mais également une source d’information grâce au sens de la vue. En tant qu’humains nous en avons aussi besoin pour des fonctions vitales telles que la synthèse de la vitamine D.
Chez la plupart des animaux, qu’ils aient des yeux semblables aux nôtres ou d’autres types de photorécepteurs, la lumière joue un rôle essentiel dans la vie. La croissance et le développement des plantes en dépendent, elles ont donc aussi des sortes « d’yeux » sous la forme de protéines photoréceptrices pour le rouge/rouge lointain (phytochromes), le bleu/ultraviolet-A (cryptochromes, phototropines, etc.) et l’ultraviolet-B.
Grâce aux signaux lumineux captés par ces protéines, la plante germe, s’adapte à l’environnement, croît et se reproduit. Et en mer… qu’arrive-t-il aux microalgues ? Eh bien, vous pouvez imaginer qu’en plus de la photosynthèse – tout comme leurs sœurs terrestres – elles utilisent la lumière pour d’autres choses telles que le réglage des cycles quotidiens (circadiens), des cycles saisonniers et la détection d’un excès de lumière visible et ultraviolette afin de prévenir les dommages.

Certaines microalgues ont des oculaires avec des protéines photoréceptrices et des caroténoïdes, comme Euglena. En fait, on sait qu’au moins 9 types d’algues possèdent de tels organites. Par exemple les dinoflagellés du genre Erythropsidinium, dont nous avons parlé dans «La insólita criatura del señor Hertwig», possèdent des ocelloïdes. Erythropsidinium appartient à une famille (Warnowiaceae) caractérisée par ces « yeux microscopiques » élaborés.
Les fonctions de base de ces structures dans le phytoplancton sont la détection de la lumière ambiante et la phototaxie (mouvement guidé par la lumière). Outre les ocelles et les points oculaires, les chloroplastes peuvent également remplir des fonctions similaires, comme chez Chlamydomonas.
Les photorécepteurs sont proches des flagelles pour faciliter la transmission d’informations sous forme de signaux électriques ou chimiques qui induisent le mouvement. Les microalgues n’ayant pas de cerveau – tout est action-réaction !
Les espèces sans ocelles peuvent également détecter les changements de lumière grâce à des pigments photosensibles, bien que leur emplacement dans la cellule ne soit pas encore bien connu. On peut citer le dinoflagellé Prorocentrum donghaiense, les diatomées comme Pseudo-nitzschia granii et l’haptophycète Phaeocystis globosa. Gardez le nom de Pseudo-nitzschia en tête car nous allons en parler plus en détails…

Jusqu’à présent, nous avons parlé de lumière ambiante, de phototaxie et des flagelles. Mais dans le cas de groupes tels que les diatomées (sans flagelles chez les cellules végétatives), leur mobilité est réduite par rapport aux organismes flagellés. Même si elles peuvent se déplacer en glissant sur des surfaces, en modifiant la longueur de leurs chaînes (chevauchant plus ou moins les individus qui les composent) et en régulant leur flottabilité en fonction de la lumière et des nutriments.
Mais des travaux récents ont révélé que certaines diatomées possèdent une capacité surprenante : elles communiquent en utilisant la lumière leur permettant ainsi de coordonner leurs mouvements – un comportement social !
Font-Muñoz et al. (2021) ont étudié le mouvement des chloroplastes et des cellules de Pseudo-nitzschia delicatissima dans des conditions de lumière et d’obscurité. Ils ont constaté que les diatomées oscillaient différemment lors de la sédimentation. Et surtout qu’elles oscillaient de manière synchronisée.
La synchronisation est due à la lumière rouge émise par l’autofluorescence de la chlorophylle. Il s’agit de la fluorescence naturelle émise par les microalgues vivantes.
Les diatomées oscillent de manière rythmique et ce comportement produit des signaux intermittents. En d’autres termes, chaque cellule agit comme un phare qui envoie un code lumineux aux autres. Un phare chlorophyllien rouge dans ce cas.
Les flashs individuels étaient rapidement synchronisés (sur des échelles d’une minute), et ont permis d’identifier un signal caractéristique dans la population. Ces impulsions lumineuses dépendent de la fréquence d’oscillation, qui change en fonction de l’orientation dans laquelle la cellule sédimente.
Et cette orientation des cellules est plus ou moins horizontale ou verticale selon le centre de masse, qui se déplace en fonction de la position des chloroplastes. Chaque Pseudo-nitzschia en a deux et ils sont plus ou moins joints selon la lumière, comme ceci:

Le signal de fluorescence est modulé par le revêtement de silice des cellules et puis par la fréquence d’oscillation des individus. Cependant, dès qu’il y a un peu d’agitation dans l’eau, les diatomées ne peuvent pas réaliser leur nage synchronisée.
Même si la couleur bleue pénètre davantage dans l’eau, la lumière rouge est mieux transmise par les diatomées, qui peuvent détecter ces signaux. Elles possèdent des photorécepteurs rouges (phytochromes), contrairement aux autres groupes de phytoplancton.
Pour démontrer que la lumière déclenche la synchronisation, Font-Muñoz et al. ont exposé un groupe de cellules à des impulsions de lumière rouge imitant le signal émis par d’autres individus. Et – ta-da ! Après une brève transition, les diatomées ont commencé à osciller au rythme du signal lumineux.
Mais pourquoi ces diatomées nagent-elles de façon synchronisée ?
Chez les diatomées exposées à différentes qualités de lumière, il a été observé que la lumière rouge peut modifier leur taux de sédimentation et stimuler la reproduction sexuelle, comme dans le cas de la diatomée bleue pennée Haslea ostrearia.

La communication lumineuse entre les individus pourrait servir une fonction adaptative, comme l’augmentation de l’irradiation que les cellules reçoivent et l’absorption de nutriments. L’oscillation des cellules fait que leur sédimentation est irrégulière, mais leur permet de se retrouver plus facilement, facilitant ainsi la reproduction sexuelle.
Ainsi, la nage synchronisée de Pseudo-nitzschia delicatissima pourrait être une stratégie efficace – tant pour cette espèce que pour d’autres diatomées pennées – pour propager un comportement bénéfique à l’ensemble de la population afin de mieux utiliser les conditions environnementales à un moment donné.
Références:
- Colley N.J. et Nilsson D.-E. Photoreception in Phytoplankton. Integrative and Comparative Biology, 56 (5): 764–775. (2016).
- Font-Muñoz J.S. et col. Pelagic diatoms communicate through synchronized beacon natural fluorescence signaling. Sci. Adv. 7, eabj5230. (2021).
- Mawphlang O.I.L. et Kharshiing E.V. Photoreceptor mediated plant growth responses: implications for photoreceptor engineering toward improved performance in crops. Front. Plant Sci. 8:1181. (2017).
- Mouget R. et col. Light is a key factor in triggering sexual reproduction in the pennate diatom Haslea ostrearia. FEMS Microbiol. Ecol. 69:194–201. (2009).
- Wasmund N. y col. Biological assessment of the Baltic Sea 2017. Marine Science Reports No 108. (2018).