Armées et dangereuses

No cualquiera se me acerca, yo lo sé
Dicen que hay que tener agallas pa’ comerme
Que hay tener el cuerpo para aguantarme

Mafiosa (Nathy Peluso, 2021)

Texte traduit par Marc Long

La pollution atmosphérique, qu’elle soit due à l’activité humaine ou d’origine naturelle, représente un danger pour la santé. En général on pense d’abord aux émissions des voitures ou de l’industrie, mais les cendres et les gaz libérés dans l’atmosphère lors d’une éruption volcanique, ou les particules provenant du désert peuvent également être nocifs.

Lors de la récente éruption du Cumbre Vieja, le président de l’ordre des médecins de l’île de Las Palmas a souligné le risque d’inhalation de cendres volcaniques:

« …Ce sont des minéraux […] comme des pierres microscopiques avec des arrêtes, des aiguilles. Ces particules fines sont beaucoup plus agressives [que les cendres d’un feu de forêt]. Elles peuvent être inhalées dans les poumons et générer une condition respiratoire qui peut être grave tant chez les patients atteints de pathologies chroniques que chez les personnes en bonne santé en cas d’exposition prolongée.”

Pedro Cabrera [El Diario (22-IX-2021)]
Images (SEM) des particules de cendres éjectées le premier jour de l’éruption du Cumbre Vieja. Source: IGME-CSIC.

Une situation similaire peut également se produire en mer. Mais dans ce cas, les désagréments sont subis par les poissons et les “épines » sont d’origine biologique: les diatomées.

Les proliférations de microalgues peuvent être nocives, même si celles-ci ne produisent pas de toxines. A priori personne ne penserait qu’une cellule dans la mer puisse représenter une menace ou un risque physique pour un poisson, un oiseau ou un mammifère. Mais tout est une question de dose, et dans le cas des espèces toxiques, nous savons que leurs toxines peuvent s’accumuler dans la chaîne alimentaire. Au-delà d’un certain seuil, ils peuvent empoisonner les organismes des niveaux supérieurs de l’écosystème.

Les efflorescences de phytoplancton peuvent également être nuisibles en consommant de l’oxygène lors de la décomposition de la matière organique lors du déclin de leurs populations. Mais il existe un autre scénario que nous n’avons pas encore abordé dans ce blog: les efflorescences abrasives

Certaines microalgues peuvent être nuisibles car elles agissent comme du « papier de verre microscopique ». En particulier, plusieurs espèces de diatomées peuvent endommager des tissus tels que les branchies des poissons et des invertébrés.

Chaetoceros coarctatus. Source: Roberts et col. (2019).

Un exemple de diatomée abrasive est Chaetoceros coarctatus. Ce genre de diatomées est très commun et abondant sur l’ensemble des côtes de la planète. C’est l’un des genres les plus diversifié, avec plus de 400 espèces. Les Chaetoceros possèdent des épines creuses (setae) qui leur permettent d’augmenter leur surface et leur flottabilité. Elles forment souvent des chaînes qui, ensemble, ressemblent à des mille-pattes microscopiques.

Le problème avec des espèces telles que Chaetoceros coarctatus est qu’elles possèdent des setae « armées », avec des extensions siliceuses qui rendent leurs proliférations abrasives et posent un risque pour la faune marine.

Les épines (ou setae) peuvent avoir des chloroplastes qui permettent de les différencier en deux sous-genres : Hyalochaete (« hyalo » signifie cristallin ; épines fines sans chloroplastes) et Phaeoceros (épines épaisses avec chloroplastes ; « phaeo » signifie brun foncé, pigmenté).

Chaetoceros coarctatus fait partie des Phaeoceros. Ses épines, en plus d’être armées ou de servir de “flotteur”, comprennent des chloroplastes qui servent de panneaux solaires captant la lumière pour la photosynthèse.

Les microscopes optiques ne permettent pas de distinguer la surface des épines en détail, pour cela il faut un microscope électronique. Et c’est cet outil qui a permis de décrire leur structure et leur fonction dans un article récent.

La plupart des épines de C. coarctatus ne sont pas rondes mais hexagonales, avec de nombreux nano-pores. Leur surface est lisse à la base, juste là où ils émergent de la cellule. Mais à mesure qu’ils se rapprochent de l’extrémité, des extensions en forme de dagues apparaissent, rappelant la tige épineuse de nombreuses plantes.

Détails structurels des épines intercalaires (setae), les plus abondantes chez Chaetoceros coarctatus. Source:Owari et col. (2022).

À l’intérieur des épines, les nano-pores sont répartis selon un maillage ordonné et permettent à la lumière de pénétrer dans les épines. Cette distribution devient désordonnée vers la pointe et à l’extérieur des épines car il y a des pores qui se ferment. La porosité augmente la résistance en protégeant mécaniquement les cellules. Mais ce n’est pas tout…

La forme et la répartition des nano-pores favorisent particulièrement la pénétration de la lumière bleue (entre 400 et 500 nm) dans les longueurs d’onde optimales pour l’absorption des pigments photosynthétiques (chlorophylles et caroténoïdes) des chloroplastes qui sont serrés à l’intérieur des épines.

La forme et la force des cellules font que lorsqu’une chaîne de C. coarctatus entre dans un canal étroit avec un fluide (comme si elle entrait dans une branchie), elle s’aligne parallèlement au mouvement du fluide, s’orientant vers l’intérieur.

Mais dans le cas d’une concentration excessive de cellules, ses longues épines armées finissent tôt ou tard par s’accrocher aux tissus et les endommager.

Cette diatomée est comme un accident de parcours ! Voici quelques photos.

Chaetoceros coarctatus. Source: Lee et Lee (2011).

Au cours de l’été et de l’automne 2013, une vague de chaleur s’est abattue sur le sud de l’Australie. Parallèlement à cet épisode, les médias ont fait état de milliers de mortalités de poissons sur 2 900 kilomètres de côtes. On estime qu’entre 100 et 2000 individus par km se sont échoués. Faites le calcul…

Le baliste (Thamnaconus degeni) a été le plus touché par les mortalités en 2013. On les voit ici échoués sur le rivage à Port Noarlunga (A) et nageant en avril 2013 au large d’Adélaïde (B). Source: Roberts et col. (2019).

Il y a également eu des décès de dauphins associés à un virus, ou encore des mortalités excessives d’ormeaux, mais celles-ci étaient liées aux températures élevées en mer (27-30°C).

Pour les poissons c’était différent…

La plupart des poissons qui sont arrivés au laboratoire étaient en mauvais état et n’ont pas pu être examinés correctement..

Mais l’analyse de 8 poissons moribonds ou récemment morts a montré de graves lésions dans leurs branchies, avec une septicémie et une hyperplasie dans les tissus.

Dans les échantillons d’eau, ils n’ont trouvé pratiquement aucune espèce de phytoplancton toxique ou nuisible, à l’exception de…Chaetoceros coarctatus.

Pendant l’un des pics de mortalité, des abondances entre 200-2000 cellules/litre de C. coarctatus ont été enregistrées. Cela ne semble pas élevé, mais cette diatomée abrasive peut provoquer des effets sublétaux avec seulement 400 cellules/litre.

Les dommages causés aux branchies et le stress qu’ils provoquent peuvent entraîner des infections bactériennes et des symptômes tels que ceux observés chez ces poissons.

En résumé, Roberts y col. ont conclu que le stress de la vague de chaleur, couplé à la prolifération de Chaetoceros coarctatus, a conduit aux lésions et infections des branchies et aux mortalités massives.

C’est un petit nombre d’individus qui a été analysé pour ce qui s’est passé là-bas, mais il n’est pas toujours possible d’obtenir des échantillons importants quand on en a le plus besoin.

Comme toujours en science, d’autres épisodes permettront à l’avenir de confirmer, de discuter ou d’étendre les conclusions, même si Chaetoceros coarctatus sera toujours suspecté, c’est certain !

Références:

  • Lee S.D. y Lee J.H. Morphology and taxonomy of the planktonic diatom Chaetoceros species (Bacillariophyceae) with special intercalary setae in Korean coastal waters. Algae 26(2):153-165 (2011).
  • Owari Y. y col. Ultrastructure of setae of a planktonic diatom, Chaetoceros coarctatus. Sci. Rep. 12: 7568 (2022).
  • Roberts S.D. y col. Marine Heatwave, Harmful Algae Blooms and an Extensive Fish Kill Event During 2013 in South Australia. Front. Mar. Sci. 6:610 (2019).
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