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Le paradis des huîtres

Image de couverture: terrasse sur le port de Piraillan. Auteur: F. Rodríguez

Traduit par Marc Long

Bassin d’Arcachon. Source: cotebordeaux.com

Je viens de passer quelques semaines en France et je suis de retour avec deux articles de blog. Dans le premier je vais vous parler d’huîtres.

Il y a quelque temps, j’ai écrit sur les huîtres vertes de Marennes-Oléron et aujourd’hui nous allons voyager dans une région voisine de la côte atlantique mais un peu plus au sud: le bassin d’Arcachon.

Manger des huîtres crues me dépasse. Mais si vous êtes amateur de ces mollusques, Arcachon sera un paradis pour vous. Parc naturel marin depuis 2014 et l’un des sites les plus visités de France.

Il y a beaucoup de raisons pouvant expliquer ce succès...

Ses paysages, ses plages, ses sentiers et ses villages ostréicoles aux cabanes en bois. Elles étaient traditionnellement utilisées pour travailler les huîtres, mais certaines ont été converties en restaurants avec des terrasses les pieds dans l’eau…

Au cinéma, vous pourrez retrouver Arcachon dans « Les petits mouchoirs« , de Guillaume Canet, le film le plus regardé en France en 2010 et un hommage à la région, une déclaration d’amour, etc.

Cette vidéo passe en revue 10 endroits à ne pas manquer. Après l’avoir regardée, je parie que vous mettrez Arcachon en tête de votre liste de lieux à visiter…

A l’entrée du bassin d’Arcachon se trouve la grande dune du Pilat : une merveille de 100 mètres de haut et d’un demi-kilomètre de long. Le mot « dune » est un euphémisme pour cette colline entre deux mers : une mer bleue de son côté ouest, et vers l’intérieur, une mer verte de pins maritimes qui ralentit sa poussée (le parc naturel des Landes de Gascogne).

Plantés pour la plupart à partir du XIXe siècle, ils avaient précisément pour but d’empêcher la dune d’être emportée vers l’intérieur des terres après sa formation par l’effondrement d’un banc de sable à la fin du XVIIIe siècle. Un sacré banc de sable !

Mais revenons à la mer. Le rythme des marées et la faible profondeur du bassin d’Arcachon font que les 2/3 de sa surface sont exposés à marée basse. Les huîtres locales sont exploitées depuis l’Antiquité. Mais ce n’est qu’aux XVIIe et XVIIIe siècles que la récolte des huîtres est devenue une activité rentable et très demandée. A cette époque, les populations étaient indigènes : huître plate, huître européenne (Ostrea edulis).

À la fin du XIXe siècle, la surpêche avait décimé la ressource. Mais le hasard a voulu qu’en 1868, un navire chargé d’huîtres portugaises (Crassostrea angulata) en provenance de Lisbonne (Le Morlaisien), perde sa cargaison lors d’une tempête… et les survivants se sont adaptés et ont rejoint les rangs des populations locales. Des décennies plus tard, une maladie mortelle qui empêchait l’huître européenne de sceller ses coquilles l’a tuée en 1920.

Dans la seconde moitié du XXe siècle, d’autres épizooties, comme celles causées par des parasites (Marteilia et Bonamia), ont fait disparaître les quelques huîtres européennes restantes et la principale ressource : les huîtres portugaises.

Évolution historique de la production d’huîtres et des épizooties en France. Source: ostrea.org

Les ostréiculteurs ont été contraints d’orienter leurs efforts vers l’huître japonaise ou pacifique (Crassostrea gigas). Et c’est encore le cas aujourd’hui.

La dernière crise (1976-81) était due au tributylétain (TBT), un produit utilisé dans les peintures antisalissures des bateaux, qui a provoqué des malformations affectant l’absorption et la croissance des huîtres.

En 1982, son utilisation a été interdite et le problème a été résolu.

Le monopole de la production d’huîtres en Europe est détenu par la France et en particulier par deux régions : Marennes-Oléron et Arcachon.

La combinaison d’eau salée avec de faibles apports d’eau douce à l’intérieur – et une grande zone protégée – font d’Arcachon une région idéale pour leur culture et leur reproduction.

Pour la croissance des huîtres, la position des bancs d’huîtres est importante car elle détermine la quantité de plancton et la période de submersion pendant laquelle elles peuvent se nourrir. Bien que de nos jours, les huîtres soient également élevées en eaux profondes.

Au total, le bassin d’Arcachon produit environ 35 000 tonnes d’huîtres par an. Dont les huîtres triploïdes développées dans la région par l’Ifremer à la fin des années 1990, qui, étant stériles, grandissent plus vite et ne développent pas leurs gonades (contrairement aux huîtres diploïdes, qui sont « laiteuses » en été pour cette raison).

Et il est presque temps de vous parler de microalgues, mais avant je vais vous raconter une dernière chose…

A la fin du 19ème siècle, une révolution a eu lieu lorsque le naissain d’huître était capté à l’aide de tuiles enduites de chaux et de sable, afin de les détacher sans blesser les juvéniles. Aujourd’hui, on préfère les capteurs en plastique, qui sont plus légers et plus pratiques (bien que moins efficaces que les bardeaux).

À partir du huitième mois de vie, les huîtres sont placées les unes sur les autres dans des sacs métalliques plats, en rangées dans la zone de balancement des marées. Au total, trois ans de soins continus – à retourner et secouer les poches pour les nettoyer afin que les huîtres n’y adhèrent pas – sont nécessaires jusqu’à ce qu’elles atteignent une taille convenable pour la vente et la consommation. (Si elles ne sont pas volées avant !)Tout cela nous a été raconté à la Maison de l´huître, à Gujan-Mestras.

Et maintenant, de quoi se nourrissent les huîtres? Et bien pour résumer, de phytoplancton…

A Arcachon, les microalgues prolifèrent généralement en début d’année, dès le mois de février. À cette époque, les grandes diatomées forment des colonies (Lauderia, Thalassiosira, Chaetoceros, Skeletonema et Asterionellopsis glacialis). Le bassin d’Arcachon est « ensemencé » à partir du Golfe de Gascogne et, une fois dans le Bassin d’Arcachon, les microalgues trouvent des conditions propices à leur développement.

Asterionellopsis glacialis. Auteur: Karl Bruun. Source: Algaebase.

Pour proliférer, elles ont besoin de conditions anticycloniques qui augmentent la lumière disponible pour la photosynthèse dans une colonne d’eau peu profonde (profondeur moyenne de 3,5 m), brassée par l’énergie des marées, riche en nutriments et avec peu de prédateurs.

Le printemps, qui dure jusqu’en avril, est la période la plus productive de l’année, surtout à l’intérieur de la lagune.

En été, l’abondance des diatomées diminue, bien que le microphytoplancton (>20 µm) continue à dominer et la proportion de groupes plus petits, pico- et nanoplancton (2-20 µm) augmente, ces derniers étant essentiels à la survie des larves d’huîtres.

La productivité annuelle du bassin d’Arcachon n’est pas très élevée. Avec une moyenne de 103 g C m-2 an-1, la productivité bassin est considérée comme mésotrophe, loin des valeurs des zones d’upwelling comme l’estuaire de Vigo (560 g C m-2 an-1 selon Cermeño et al. 2006).

Les dinoflagellés représentent généralement une petite partie du phytoplancton d’Arcachon. Cependant le bassin n’est pas épargné par la présence d’espèces toxiques.

La première fermeture à cause d’une toxine dans le bassin d’Arcachon a eu lieu en 2005. Elle était notamment due à des bio-essais positifs chez la souris pour les toxines lipophiles associées à la présence de Dinophysis.

À la fin de cet épisode, une toxicité « atypique » a été détectée, elle n’était associée à aucune des toxines communément identifiées. Dans ces échantillons, des spirolides (associés à Alexandrium ostenfeldii) ont également été détectés dans les huîtres et les moules pour la première fois en France. Les fermetures des exploitations conchylicoles ont été prolongées pendant 10 semaines.

Auteur: F. Rodríguez

Des épisodes de toxicité « atypique », également détectés les années suivantes, ont été liés aux pinnatoxines (associées au dinoflagellé Vulcanodinium rugosum) ans les zones de production de Nouvelle-Zélande, d’Australie et de la Méditerranée française. Mais à ma connaissance, l’origine de cette toxicité à Arcachon n’est pas encore connue.

Et pour finir, voici la liste des prix sur une terrasse du port de Gujan-Mestras, au cas où vous seriez curieux et voudriez les essayer!

Références:

  • Amzil Z. et col. Report on the first detection of pectenotoxin-2, spirolide-a and their derivatives in French shellfish. Mar. Drugs 23;5(4):168-79 (2007).
  • Cermeño P. et col. Phytoplankton size structure and primary production in a highly dynamic coastal ecosystem (Ría de Vigo, NW-Spain): Seasonal and short-time scale variability. Est. Coast Shelf Sci. 67:251-266 (2006).
  • Glé C. et col. Typology of environmental conditions at the onset of winter phytoplankton blooms in a shallow macrotidal coastal ecosystem, Arcachon bay (France). J. Plankton Res. 29 (11) 999-1014 (2007).
  • Glé C. et col. Variability of nutrients and phytoplankton primary production in a shallow macrotidal coastal ecosystem (Arcachon Bay, France). Est. Coast Shelf Sci. 76:642-656 (2008).
  • Hess P. Pinnatoxin G is responsible for atypical toxicity in mussels (Mytilus galloprovincialis) and clams (Venerupis decussata) from Ingril, a French Mediterranean lagoon. Toxicon 1;75:16-26 (2013).
  • Maurer D. et col. Etude des relations entre le phytoplancton et les phénomènes de toxicité d’origine inconnue dans le Bassin d’Arcachon. IFREMER, RST/LER/AR/10.004. 101 pp. (2010).
  • Rossignoli-Escudeiro A. CRECIMIENTO Y REPRODUCCIÓN DE LA OSTRA RIZADA, Crassostrea gigas (Thunberg, 1793), CULTIVADA EN INTERMAREAL Y EN BATEA EN GALICIA (NW ESPAÑA). 91 pp. (2006).
  • Rhodes LL. et col. Dinoflagellate Vulcanodinium rugosum identified as the causative organism of pinnatoxins in Australia, New Zealand and Japan. Phycologia 50(6):624-628 (2011).
  • Sources web: https://www.belambra.fr/les-echappees/la-culture-des-huitres-dans-le-bassin-d-arcachon-0130/ ; https://huitres-arcachon-capferret.fr/une-histoire-une-origine/ ; https://www.parc-marin-bassin-arcachon.fr/editorial/accompagner-lostreiculture ; https://www.ostrea.org/les-epizooties-historiques-de-lhuitre-en-france/