Tiwanaku
Image de couverture: ville de Tiwanaku (ou Tiahuanaco). Source: lapaz.bo
Traduit par Marc Long
Le lac Titicaca est le plus haut lac navigable du monde, une oasis gigantesque d’origine glaciaire, à 3 800 mètres d’altitude sur le haut plateau des Andes. C’est la principale destination touristique de la Bolivie. Le lac est partagé avec le Pérou.

Sa présence adoucit le climat de la région, augmente l’humidité et la productivité de la terre. Une terre occupée et travaillée par diverses cultures et civilisations depuis plus de 4000 ans.
(Île flottante sur le lac Titicaca. Source: El Confidencial)
La civilisation de Tiahuanaco (ou Tiwanaku, dans la vallée du même nom au sud-est de Titicaca) est le meilleur symbole de la culture précolombienne.
La civilisation Tiwanaku était l’une des civilisations les plus anciennes et les plus importantes d’Amérique du Sud, elle a prospéré entre le VIe et le XIe siècle. Sa domination n’était pas militaire, elle exerçait son influence par le commerce, l’agriculture et la religion.
Les Tiwanakus pratiquaient une agriculture intensive sur les plaines inondables et les pampas (plaines) du lac. Ils ont notamment développé des cultures dans le bassin sud-est du Titicaca : le plus petit lac, Wiñaymarka (ou Huiñamarca), relié par un détroit <1 km.

Cette agriculture, associée à la production de maïs dans d’autres régions ainsi qu’à l’élevage de camélidés (lamas et alpagas ; domestiqués à partir de guanacos et de vigognes), a permis le commerce sur de longues distances pendant 600 ans.
Cette communauté politique et religieuse s’est effondrée vers 1100. Les origines du déclin de Tiwanaku font l’objet de diverses hypothèses, dont l’une d’elle serait une période de sécheresse prolongée dans la région.
Après Tiwanaku, l’occupation du lac s’est poursuivie par des populations autonomes qui ont exploité les zones cultivables jusqu’à l’arrivée de l’empire inca vers 1450.
Mais le climat a t’il été à l’origine de la fin des Tiwanakus?
Les changements climatiques figurent toujours parmi les causes favorisant l’essor ou entrainant le déclin des civilisations anciennes. En effet, les populations ont une grande dépendance à l’égard d’une agriculture stable (le maïs dans les cultures précolombiennes) et donc de l’approvisionnement en eau (avec la nécessité de périodes humides et sèches tout au long de l’année).
Pour étudier les variations climatiques, le dossier archéologique fournit des données de différents types qui peuvent être confrontées aux changements socioculturels…
Et comment étudier les oscillations climatiques dans une région dotée d’un immense lac? En utilisant les fossiles du plancton, en particulier ceux laissés par les diatomées et leurs frustules de silice pendant des milliers d’années dans les sédiments.
Les diatomées forment un composant abondant du phytoplancton avec des modes de vie variés et une multitude d’espèces. Sachant cela, deux études récentes (Weide et col. 2017; Bruno et col. 2021) les ont utilisées pour estimer les variations de profondeur et de salinité dans le Wiñaymarka.

Le lac Titicaca possède une superficie de 8562 km2 (un peu moins de la moitié du lac Ontario…), comprenant le lac Wiñaymarka qui représente à lui seul 1470 km2.
Et c’est ce lac qui nous intéresse en raison de son influence sur la vallée de Tiwanaku.
Sa petite taille – et son lien étroit avec le grand lac Titicaca – rend son niveau plus sensible aux fluctuations du climat. Les changements seront d’autant plus visibles chez les diatomées…
Pendant les périodes sèches des derniers millénaires, la communication entre le lac principal et Wiñaymarka a été réduite, voire interrompue.
Durant ces périodes, l’évaporation fait baisser le niveau du bassin et fait augmenter la salinité du lac.
Dans les cas extrêmes, le lac aurait pu s’évaporer complètement et laisser place à un immense plateau salé. Bien que cela ne se soit pas produit au lac Titicaca, un autre lac immense se trouvant sur les hauts plateaux de Bolivie a subi ce sort: l’actuel Salar de Uyuni. Parfaitement visible sur la photo ci-dessous comme une étendue blanche au sud du Titicaca.

Les variations climatiques et leurs effets sur le niveau du Titicaca sont un puissant moteur de l’évolution des diatomées.
Par exemple, différentes périodes climatiques – au cours des 400 000 dernières années – ont été mises en relation avec les changements de taille d’une espèce endémique et actuellement dominante : Cyclostephanos andinus.
(Image: geog.ucl.ac.uk).
Pour reconstituer les périodes climatiques (4000 ans) dans le Wiñaymarka des échantillons de sédiments ont été prélevés (jusqu’à environ 40 m de profondeur) et les fossiles de diatomées ont été répartis en 5 groupes écologiques:
- 1>Planctoniques d’eau douce: vivant dans la colonne d’eau à des salinités faibles. (Cyclostephanos andinus, Discostella stelligera et Fragilaria crotonensis).
- 2>Planctoniques halotolérantes: pouvant vivre dans l’eau douce ou modérément salée (Cyclotella meneghiniana).
- 3>Benthiques: habitant les substrats éclairés dans les eaux peu profondes. (p.ej. Nitzschia denticulata et Epithemia spp.).
- 4>Epiphytes: poussant attachés aux plantes (Cocconeis spp.).
- 5>Salines: ayant besoin de salinités supérieures à 2g L-1 pour survivre (Chaetoceros sp., Fragilaria zelleri).
Tout ceci est un exemple de la façon dont la « science fondamentale » (dans ce cas, la taxonomie et l’écologie des diatomées) peut contribuer à d’autres types d’études, en l’occurrence ici des études anthropologiques.

La méthode est qualitative, mais permet d’estimer les changements de niveau du lac et de les mettre en relation avec d’autres indicateurs archéologiques (plantes, animaux et archives géologiques).
En période sèche, le Wiñaymarka était moins profond et la population de microalgues était dominée par des diatomées épiphytes et benthiques. Lorsque son bassin a été encore plus réduit et isolé du bassin principal, la salinité a augmenté et a favorisé les diatomées salines.
Au contraire, lorsque les niveaux d’eau ont remonté, les espèces halotolérantes ont occupé cette niche de salinités intermédiaires et d’eaux plus profondes. Enfin lorsque les niveaux d’eau ont atteint les niveaux actuels, les espèces d’eau douce ont dominé.
Finalmente, si el nivel sube a valores como los actuales lo que predominan son especies de agua dulce.
Les résultats ont été très révélateurs et ont mis en évidence les changements suivants. Le Wiñaymarka a oscillé entre des niveaux bas et des salinités modérées depuis le début de la série historique (4000 av. J.-C.) jusqu’à 700 av. J.-C. Pendant ces siècles, le climat a varié, mais les diatomées d’eau douce sont restées minoritaires…
Depuis, les diatomées d’eau douce ont renforcé leur présence. Cette augmentation ne se produit que lorsque le Wiñaymarka atteint son niveau maximum et déborde par la rivière Desaguadero.
Cette première augmentation a semblé ralentir vers 1120, soit à la fin de la civilisation Tiwanaku. Une nouvelle augmentation – 150 ans plus tard – l’a amené jusqu’aux niveaux actuels.
Ainsi, le Wiñaymarka atteint pour la première fois des dimensions comparables à celles présentes au milieu de la période Tiwanaku. Alors que pendant les siècles précédents, il était toujours à des niveaux inférieurs.
Les diatomées nous apprennent que les Tiwanaku ont connu des climats secs (avec des sécheresses modérées) et des climats humides similaires à ceux d’aujourd’hui. Sa disparition n’a coïncidé avec aucune sécheresse catastrophique.
Cela confirmerait l’hypothèse selon laquelle les problèmes politiques et sociaux (et non climatiques) seraient la principale raison de la disparition de la civilisation de Tiwanaku.
Pourtant la sécheresse prolongée a existé. Les diatomées et les marqueurs géologiques coïncident et semblent indiquer une grande sécheresse après la civilisation Tiwanaku (vers 1200).

La conclusion de ces études est qu’aucune relation directe n’a pu être établie entre les oscillations du lac et les changements socio-culturels de ses habitants dans le passé.
La région a subi des variations climatiques continues et chaque période archéologique a comporté des conditions sèches et humides.
Mais les différentes civilisations du Titicaca se sont adaptées à ces variations en maintenant une occupation et une utilisation constantes de cette zone pendant des milliers d’années.
Les populations indigènes d’aujourd’hui appliquent leur connaissance des cycles de pluie et du niveau des lacs pour gérer les ressources naturelles.
Références:
- Bruno M.C. et col. The Rise and Fall of Wiñaymarka: Rethinking Cultural and Environmental Interactions in the Southern Basin of Lake Titicaca. Human Ecol. 49(2): 131-145 (2021).
- Spanbaeur T.L. et col. Punctuated changes in the morphology of an endemic diatom from Lake Titicaca. Paleobiol. 44(1):88-100. (2018).
- TRÓPICO. Libro de Viaje – Lago Titicaca (entre cultura y naturaleza). TRÓPICO – Red Lagos Vivos de América Latina y el Caribe. Banco Interamericano de Desarrollo?. 207 pp. (2011).
- Weide D.M. et col. A ~6000 yr diatom record of mid-to late Holocene fluctuations in the level of Lago Wiñaymarca, Lake Titicaca (Peru/Bolivia). Quat. Res. 88(2):179-192 (2017).