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Les diatomées des noyés

Image: La plage des noyés. Un film de Gerardo Herrero (2015). Source: lacabecita

Traduit de l’espagnol par Marc Long

-On dirait qu’ils l’ont aidé à se noyer.

-Et ça ?

-Ses mains sont liées.

La plage des noyés (Domingo Villar, 2011)

Il y a un mois, dans le « Territorio Negro » de Julia en la Onda (une émission radio espagnole de faits divers), Ana García Rojo (cheffe de l’entomologie du Commissariat général de la police scientifique) a été interviewée sur l’importance des insectes dans la résolution de crimes.

En plus des insectes, Ana a également mentionné l’utilisation des diatomées dans les études médico-légales.

Ce fut une mention éphémère, mais elle eut le même effet que les phares d’un 4×4 aveuglant un lapin (j’étais le lapin bien sûr).

Et cette lumière aveuglante conduit à cette entrée en matière assez obscure….

Echantillon d’eau de mer de la ria de Pontevedra (juin 2013) rempli de diatomées. Auteur: F. Rodríguez

Les diatomées sont des marqueurs médico-légaux dans les systèmes aquatiques.

Et je pourrais citer deux raisons principales :

>>>> 1) On les trouve largement et abondamment selon la période de l’année dans les environnements marins, les eaux douces mais également dans des échantillons de sol.

>>>> 2) Elles sont très résistantes, comme des petits grains de sable en raison de leurs squelettes en verre (également appelés frustules) qui résistent aux traitements acides. Elles ont également une très forte diversité morphologique qui permet d’identifier plusieurs espèces.

Leur utilisation en pathologie médico-légale n’est pas nouvelle, elles sont utilisées depuis le début du XXe siècle.

Quelles sont les informations que cachent les diatomées ?

Mettons-nous en situation. L’objectif étant d’établir les causes et le lieu de décès de la victime d’un crime…

… et à ce sujet, les diatomées peuvent aider à savoir si la victime est morte par noyade. Mais également à quel endroit elle est morte.

Trouver la victime dans l’eau ne suffit pas à affirmer qu’elle s’est noyée.

Répartition des diatomées dans le corps humain selon qu’il y a noyade ou mort antérieure. Source: Pinterest (Sandi Weyl)

Même si le corps est découvert hors de l’eau, la victime a pu se noyer et le corps a pu être déplacé par la suite.

Si la personne était en vie, elle aurait avalé de l’eau avant de mourir, ainsi ses poumons seraient saturés d’eau.

La rupture des alvéoles pulmonaires permet à l’eau (et aux diatomées présentes) de pénétrer dans le sang.

Celles-ci sont ensuite dispersées dans différents organes (cerveau, cœur, reins, foie, etc.) et dans la moelle osseuse.

La taille maximale des diatomées qui traversent la barrière alvéolaire-capillaire est d’environ 110 µm.

Cela couvre une grande diversité de genres. Les études sur les tissus des cadavres retrouvés en eau douce citent entre autres les genres Achnanthes, Amphora, Asterionella, Campylodiscus, Cocconeis, Cyclotella, Fragilaria, Melosira, Navicula, Nitzschia, Pinnularia, etc.

La recherche des diatomées dans les tissus humains est généralement effectuée dans les organes et dans la moelle osseuse du fémur, après traitement chimique (avec de l’acide nitrique, de la protéinase K, etc.), pour éliminer la matière organique.

Dans le cas contraire, où la victime serait morte avant d’avoir été mise à l’eau, les diatomées pourraient pénétrer dans les poumons, mais elles ne seraient pas transportées activement vers le reste des organes ou vers la moelle osseuse.

Asterionella formosa est l’une des diatomées découvertes chez des victimes de noyade lors d’une étude menée en Finlande (Auer, 1991). Source: nordicmicroalgae

Si le décès est récent, il peut y avoir des signes extérieurs de noyade (peau pâle, mousse au niveau de la bouche et du nez). Mais après un certain temps, ces preuves disparaissent et le test des diatomées peut être très précieux pour découvrir l’origine du décès.

Malgré tout, le test des diatomées est loin d’être infaillible. Le test est influencé par de nombreux facteurs tels que l’abondance des diatomées dans l’environnement, le temps écoulé depuis la mort, l’état du corps, etc. Leur concentration est fortement réduite lorsqu’elles pénètrent dans les poumons et se dispersent dans les tissus de l’organisme

Les diatomées pourraient néanmoins confirmer un cas de noyade sur trois.

Une analyse de 738 victimes en Ontario (Canada) a conclu que les diatomées corroboraient 28% des noyades.

La plage du roman est celle de « A Madorra », près de la ville de Vigo en Galice. Source: amazon

Et le succès du test était associé au cycle saisonnier de ces organismes : plus l’abondance dans l’environnement est grande, plus la probabilité de trouver des diatomées sur les victimes est importante. Logique.

Etonnament, le test des diatomées a également été utilisé pour confirmer certains décès par noyade dans des salles de bain et des piscines…

Selon les auteurs, différents seuils sont considérés pour confirmer un résultat positif.

Par exemple, plus de 20 frustules de diatomées pour 100 μL de sédiments extraits dans 2 g de tissu (par exemple, le cœur, le cerveau, les reins, le foie et la moelle osseuse) ou 20 à 40 frustules dans 5 g de moelle osseuse, etc.

Ces valeurs peuvent varier en fonction des tissus analysés mais il n’existe pas de critère standard pour l’ensemble de la communauté médico-légale.

La biologie moléculaire (séquençage des gènes ribosomiques et mitochondriaux) a également été récemment intégrée à l’identification du plancton dans les études médico-légales.

Cette discipline permet d’obtenir des résultats positifs, même en l’absence de diatomées, grâce à la présence d’algues vertes et de cyanobactéries.

L’article Diatoms and homicide (Pollainen, 1998) illustre de nombreux exemples. Je vous préviens ces exemples sont macabres…

La diversité et la composition des diatomées dans les tissus humains peuvent également indiquer le lieu de la scène de crime en mettant en relation des échantillons d’eau ou de sol avec ceux de la victime.

L’identification automatique d’images est une autre technique qui pourrait être incorporée dans les études médico-légales. Modèle d’identification GoogleNet Inception-V3. Source: Zhou Y. y col. (2020).

Le mieux est de l’illustrer par des cas réels dans lesquels les diatomées ont joué un rôle fondamental…

  1. Un enfant de 5 ans au fond d’un lac. La moelle osseuse du fémur a révélé deux diatomées caractéristiques également présentes dans les échantillons du lac à côté du cadavre. Son père a finalement avoué le meurtre.
  2. Les restes carbonisés d’une adolescente dans une valise abandonnée sur un parking. Eh bien, plusieurs diatomées ont été trouvées dans la moelle osseuse du fémur et du sinus maxillaire, et ont permis de révéler la mort par noyade..
  3. Un transsexuel de 38 ans est mort dans une baignoire remplie d’eau et de savon. Quatre types de diatomées ont été découverts dans sa moelle osseuse fémorale, tout comme celles de la baignoire. Il a été étranglé, puis a été noyé sous l’eau..
  4. Le corps d’une femme de 25 ans dans un état de décomposition avancé dans une forêt. Des diatomées typiques du sol terrestre ont été retrouvées dans la moelle osseuse fémorale. L’exploration de la zone où le corps a été trouvé a permis de découvrir des diatomées identiques dans des étangs temporaires de la forêt. Elle avait été poignardée mais elle est morte noyée dans un fossé avec de l’eau..

Mais les diatomées ne sont pas seulement étudiées sur les corps des pauvres victimes. Les vêtements et les chaussures peuvent aussi conserver des cellules attachées avec lesquelles on peut relier un suspect à la scène de crime !

Remerciements : Patricia Quintas (IEO Vigo) qui m’a parlé de l’interview dans Julia en la Onda dès qu’elle a entendu parler des diatomées.

Marc Long

Un grand merci aussi à Marc Long pour cette traduction et d’autres dans l’avenir. Marc est un microbiologiste marin spécialisé dans l’étude de la physiologie du phytoplancton.

Il a réalisé sa thèse doctorale à l’Université de Wollongong (Australie) et à l’Université de Bretagne Occidentale (France). Marc a d’abord étudié la toxicité de polluants comme les microplastiques sur le phytoplancton et s’est ensuite spécialisé dans l’étude des interactions entre microalgues et avec d’autres microorganismes marins.

Marc s’intéresse plus particulièrement à la communication chimique entre microalgues marines et cherche à comprendre comment ces signaux chimiques pourraient expliquer le succès écologique de certaines espèces, notamment les espèces toxiques.

Références:

  • Auer A. Qualitative diatom analysis as a tool to diagnose drowning. Am J Forensic Med Pathol 12: 213-218 (1991).
  • Levkov Z. y col. The use of diatoms in forensic science: advantages and limitations of the diatom test in cases of drowning. In: Williams M. & col. (eds). The Archaeological and Forensic Applications of Microfossils: A Deeper Understanding of Human History. The Micropalaeontological Society, Special Publications. Geological Society, London, 261–277 (2017).
  • Pollainen M.S. Diatoms and homicide. Forensic Sci Int 91:29–34 (1998).