Feu et cendres
Image de couverture: incendies en Nouvelle Galles du Sud (Australie, 2019). Auteur: Orbital Horizon/Copernicus Sentinel Data/Gallo Images/Getty Images. Source: vox.com
Traduit par Marc Long
Durant (notre) hiver 2019-2020, des incendies ont ravagé le sud-est de l’Australie.

Durant l’été australien 2019/2020, c’est l’équivalent de deux fois la surface de la Belgique qui a brûlé, entrainant la mort d’une trentaine de personnes et le déplacement de milliers d’autres.
(Wallabie en Nouvelles Galles du Sud profitant de carottes tombées du ciel. Source: dailymail.co.uk).
On estime également que des centaines de millions d’animaux sont morts dans l’incendie, tandis que d’autres ont été tués pour des raisons de sécurité. Oui, vous avez bien lu: environ 10 000 chameaux ont été tués pour protéger les populations humaines.
La situation était telle que « l’Opération Rock Wallaby » a été créée : des milliers de kilos de pommes de terre et de carottes ont été largués depuis des hélicoptères afin que les colonies de ces marsupiaux puissent survivre après la catastrophe.
Les incendies de 2019 illustrent les conséquences des conditions météorologiques extrêmes (sécheresses prolongées et températures élevées), devenant plus fréquentes en raison du changement climatique.
Ce que nous savons, c’est que les grandes sécheresses en Australie sont associées à un phénomène similaire à « El Niño » qui se produit dans le Pacifique. Dans l’océan Indien ce phénomène est appelé «Dipôle de l’Océan Indien (DOI)».
C’est une modification périodique de la température de surface de l’océan Indien. Sa relation avec les sécheresses en Australie a été démontrée en 2009, sur la base d’une série chronologique de 120 ans.

Le DOI comporte 3 phases : neutre, positive et négative. Pendant la phase positive, la température dans l’ouest de l’océan Indien est plus élevée, alors qu’un refroidissement a lieu dans les eaux de l’est de l’océan Indien.
Pendant cette période, l’upwelling côtier s’intensifie et la température de surface de l’océan Indien diminue, grâce à l’augmentation des alizés qui transportent les eaux de surface de l’Océanie vers l’Afrique.
L’intensité du DOI est généralement maximale entre août et octobre. Ses effets peuvent durer jusqu’en décembre, puis ils disparaissent avec l’arrivée de la mousson.
En septembre 2019, les observations laissaient penser que le DOI allait être particulièrement intense, et qu’il fallait donc s’attendre à des sécheresses intenses en Indonésie, à Singapour et en Australie.

Les grandes sécheresses en Australie sont donc liées à cette oscillation de température dans l’océan Indien. Si l’on ajoute à cela l’augmentation de la température due au changement climatique, on obtient le cocktail parfait pour la propagation des incendies.
L’Australie connait une période de sécheresse depuis 1995 – connue sous le nom de « Big Dry » – mais malgré cela, la zone touchée par les incendies s’était distinguée au niveau mondial par une croissance de sa végétation au cours des dernières décennies. Même le rapport du GIEC « Changement climatique et terres » (2019) avait reconnu cette amélioration:
Globally, greening trends (trends of increased photosynthetic activity in vegetation) have increased over the last 2–3 decades by 22–33%, particularly over China, India, many parts of Europe, central North America, southeast Brazil and southeast Australia.
IPCC (2019)

Mais les incendies sur terre peuvent-ils affecter la vie marine? Et si oui, comment? Et bien en fertilisant l’océan, par exemple.
Les cendres des incendies ou des éruptions volcaniques, le ruissellement des rivières, l’érosion ou les dépôts atmosphériques, apportent tous des minéraux et des nutriments (comme le fer) qui sont essentiels à la croissance du phytoplancton.
Le sable du désert agit également comme un engrais en mer. Ce phénomène est bien connu, mais ce n’est que dans les années 1990 qu’il a été suggéré que les cendres volcaniques pouvaient également jouer un rôle dans le cycle du fer et dans la production primaire dans l’océan.
Ce domaine d’étude est si récent que la première preuve d’une relation de cause à effet entre une éruption volcanique et une efflorescence microalgale a été établie en 2008 dans le Pacifique Nord-Est à la suite de l’éruption du Kasatochi (un volcan situé dans les îles Aléoutiennes, dans la ceinture de feu du Pacifique).
Le Pacifique Nord-Est est une zone de faible productivité tout au long de l’année en raison de la rareté des nutriments comme le fer dans la couche éclairée à la surface de l’océan.
Martin & Fitzwater ont choisi cette région pour confirmer l’hypothèse de la limitation en fer du phytoplancton en 1988. Ils y ont également vu une possible solution de contrer le changement climatique en augmentant la photosynthèse et l’absorption de CO2 dans l’océan. Une idée fascinante mais aux résultats mitigés qui a maintenant été abandonnée.

Presque immédiatement après l’éruption du Kasatochi début août, une croissance anormale du phytoplancton a été observée jusqu’en octobre.
(Différence entre la moyenne mensuelle de chlorophylle en 2008 et celle de 2002-2007, d’Avril (A) à Octobre (G). Source: Fig. 3 de Langmann et col. 2010).
La zone de de développement du phytoplancton détectée par satellite a coïncidé avec le déplacement et le dépôt atmosphérique des cendres volcaniques de Kasatochi.
Mais en plus de l’éruption, des conditions océanographiques favorables ont contribué au développement de l’efflorescence phytoplanctonique.
En effet, en été, la couche de mélange de surface est réduite à 20-40 mètres, ce qui augmente la stabilité et l’impact de la fertilisation, tous deux essentiels à la prolifération du phytoplancton pendant des semaines…
Si l’on s’intéresse maintenant aux effets des cendres provenant d’incendies, un exemple plus inquiétant existe.
En 1997, une mortalité massive des récifs coralliens a été observée dans les îles Mentawai, au large de Sumatra (Indonésie), suite à une marée rouge de phytoplancton. Cet événement a été rapporté dans un article de la revue Science (Abram et col. 2003).

La mort des récifs était probablement liée à l’hypoxie (un manque d’oxygène) associée à la fin de la marée rouge et à la décomposition de la matière organique.
Cette relation de cause à effet a été étayée par des témoignages locaux décrivant la mort du récif et des poissons alors que la mer était devenue rouge (nasa.gov).
La marée rouge fut immense : elle a recouvert l’archipel des Mentawaï, long de 400 kilomètres, et les dégâts qu’elle a causés étaient si importants que presque tous les récifs et les poissons de la région ont péri.
Malheureusement, personne n’a identifié la microalgue responsable de la marée rouge. Mais on ne peut pas exclure que cette efflorescence de microalgue ait été également toxique ou ichtyotoxique compte tenu des effets observés sur l’écosystème (il pourrait s’agir de dinoflagellés, de raffidophycées, qui sait…).
Mais quelles étaient les causes de cette marée rouge mortelle ? Elle a coïncidé avec une période d’upwelling, favorisant la prolifération du phytoplancton, et avec des valeurs positives très élevées de l’indice DOI, qui ont intensifié l’upwelling côtier au large de Sumatra en 1997.
Pourtant l’étude des archives de récifs fossiles datant de 7 000 ans dans la région n’a révélé aucune perturbation de la croissance correspondant à des épisodes passés de mortalité massive malgré des indices DOI qui étaient également élevés dans le passé…
La mortalité des récifs en 1997 a donc été exceptionnelle. Et quelque chose d’autre a dû se produire cette année-là…
En 1997, les pires incendies qu’ait connus l’Asie du Sud-Est se sont produits, notamment sur les îles de Sumatra et de Bornéo.

Rien qu’à Sumatra, 15 000 km2 ont brûlé et des conditions anormales d’alizés d’est ont déplacé les nuages de cendres vers les îles Mentawai entre septembre et décembre 1997.
Des scientifiques ont estimé que l’apport de nutriments et de fer provenant des cendres des incendies (associé à des conditions de remontée d’eau favorables à la croissance du phytoplancton) a été plus que suffisant pour déclencher et maintenir la gigantesque marée rouge qui au final a causé la mort des récifs.
Cet incident est un signal d’alarme sur les conséquences graves que les feux de forêt (combinés à d’autres facteurs environnementaux) peuvent avoir sur l’océan.
Heureusement, cela ne semble pas avoir été le cas en Australie. À ce stade, aucune prolifération de phytoplancton n’a été signalée.

Les mortalités de poissons observées dans les eaux intérieures de la Nouvelle-Galles du Sud étaient dues à un autre phénomène : au manque d’oxygène dans les rivières et les lacs chargés de cendres et de boue (The Guardian, 17-I-2020).
Et maintenant, voilà un koala très chanceux. J’adore la façon dont le sauveteur essaie de le calmer après l’avoir mis dans le porte-bébé. Une de ces vidéos qui donne de l’espoir mais qui laisse aussi un goût amer.
REMARQUE: Le 15 septembre 2021, « Widespread phytoplankton blooms triggered by 2019–2020 Australian wildfires » (Tang y col.; Nature 597:370-375), a été publié reliant la fertilisation par les aérosols libérés lors des incendies en Australie avec le développement ultérieur d’un gigantesque bloom dans l’océan Antarctique.
Références:
- Abram N.J. et col. Coral reef death during the 1997 Indian Ocean Dipole linked to Indonesian wildfires. Science 301:952-955 (2003).
- Bixby R.J. et col. Fire effects on aquatic ecosystems: an assessment of the current state of the science. Freshwater Science 34:1340-1350 (2015).
- Duggen S. et col. The role of airborne volcanic ash for the surface ocean biogeochemical iron-cycle: a review. Biogeosciences 7:827-844 (2010).
- Langmann B. et col. Volcanic ash as fertiliser for the surface ocean. Atmos. Chem. Phys. 10:3891-3899 (2010).
- Martin J. H. & Fitzwater S. E. Iron deficiency limits phytoplankton growth in the north-east Pacific subarctic. Nature 331: 341–343 (1988).
- Shukla P.R. et col. Technical Summary. In: Climate Change and Land: an IPCC special report on climate change, desertification, land degradation, sustainable land management, food security, and greenhouse gas fluxes in terrestrial ecosystems, 74 pp. (2019). Disponible en: IPCC.
- Ummenhoffer C.C. et col. What causes southeast Autralia’s worst droughts? Geophys. Res. Lett. 36. L04706 (2019).